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Fellipe Barbosa, en pleine ascension

  • Raphaëlle Simon
  • 2017-08-28

Pourquoi une fiction plutôt qu’un documentaire pour retracer les derniers jours de votre ami en Afrique ?
L’impulsion du film, c’était de comprendre ce qui lui était arrivé. Le film s’ouvre sur la découverte de son corps, comme pour donner un but au spectateur : comprendre comment et pourquoi Gabriel a échoué sur les pentes de cette montagne, au Malawi. Sa mort a été tragique mais assez douce – il est mort d’hypothermie, il ne s’est pas réveillé –, donc c’était une démarche presque spirituelle, pour aider son esprit à comprendre qu’il était mort. J’ai toujours su que je voulais faire une fiction, parce que je voulais faire revivre Gabriel: avec un documentaire, on aurait été dans le passé, l’absence, alors qu’avec une fiction je pouvais le ressusciter.

Le film a une forte dimension religieuse. Le parcours de Gabriel semble d’ailleurs suivre le chemin du Christ : mission (sa belle relation de partage avec les locaux) ; crucifixion (quand resurgissent son passé et sa vraie nature) ; ascension (de la fameuse montagne). Comment avez-vous travaillé cette dimension christique ?
Gabriel était un idéaliste, sans cynisme, il était d’une grande pureté. D’ailleurs, plusieurs disparus n’ont jamais été retrouvés sur le mont Mulanje – on dit que les esprits de la montagne ne laissent retrouver que les êtres assez purs. J’ai travaillé autour de l’idée de pureté, en cherchant à traduire formellement la recherche de liberté, de dépouillement du personnage. Donc c’est du cinéma très pur, avec des plans larges, des panneaux gauche-droite simples, tranquilles, très peu d’effets.

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Pour autant, vous n’en faites pas un saint, vous dépeignez son personnage avec une certaine distance.
Je tenais à montrer qu’il était contradictoire: sa générosité, son humanisme coexistent avec sa naïveté, sa bêtise. On vit dans un monde très sectaire où les différences s’excluent. Ça m’intéressait de montrer ces contradictions coexister. Gabriel a voyagé comme peu d’Occidentaux, auprès de gens très pauvres, mais en même temps il pouvait avoir cette arrogance colonialiste.

Vous n’hésitez pas à épingler ce travers occidental – Gabriel supporte mal d’être pris pour le touriste qu’il reste malgré sa volonté de se fondre dans la culture locale. Vous avez toujours des comptes à régler avec la bourgeoisie brésilienne dont vous êtes issu et que vous attaquiez déjà dans votre précédent film, Casa Grande ?
J’ai compris tard un lien très fort entre mes deux films : Gabriel et la Montagne commence là où finit Casa Grande. À la fin de Casa Grande, le personnage ouvre une fenêtre sur un monde nouveau que son milieu bourgeois préfère ne pas voir, et on le retrouve dix ans après dans Gabriel et la Montagne, qui continue d’explorer le monde, aux antipodes de son milieu d’origine.

La narration fait beaucoup penser à Sans toit ni loi d’Agnès Varda. Ça a été une influence forte ?
Oui, mais de manière inconsciente! Quand j’ai montré le scénario à mon ami Ira Sachs juste avant le tournage, il m’a dit qu’il fallait que je revoie ce film. Dès le plan d’ouverture, j’ai eu un choc: on voit un paysan qui ramasse des plantes et qui trouve un corps – celui de Sandrine Bonnaire –, exactement comme dans la première séquence de mon scénario. Il y a aussi des échos dans la narration, avec ces témoins qui parlent d’elle au passé alors qu’on la voit au présent. La différence, c’est que, dans le film de Varda, les personnes qui ont rencontré l’héroïne ne l’aiment pas, et puisqu’ils ne l’aiment pas, on l’aime ; avec Gabriel, c’est l’effet inverse : plus les témoins en disent du bien, plus on se met à distance avec lui.

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Comment est venue la très belle idée du film, de faire jouer leur rôle aux personnes qu’a rencontrées le vrai Gabriel ?
Ça s’est décidé assez tard, de manière pragmatique. J’avais écrit le scénario initial et j’ai fait les premiers repérages en 2011, sans cette idée. C’est en 2015, lors des derniers repérages, quand j’ai rencontré le guide qui a emmené Gabriel au sommet du Kilimandjaro, que j’ai compris qu’il devait incarner son propre rôle. Déjà parce que je n’avais pas le temps ni l’argent de faire un casting, et surtout parce qu’il m’a semblé évident que c’était la seule possibilité de faire tout le film, avec ce casting composé par Gabriel lui-même. Cette petite idée est devenue la grande idée du film, et on s’est mis à chercher tous les gens qu’il avait croisés pour les faire jouer dans le film, ce qui n’a pas été une mince affaire – on avait juste le carnet de voyage de Gabriel et les quelques photos qu’il avait prises…

Pas trop dur, le tournage au sommet du Kilimandjaro, à plus de 5 800 mètres d’altitude ?
Si. On était une équipe de cinéma, pas de montagnards, mon chef op était même asthmatique… Les derniers kilomètres étaient vraiment difficiles, les gens tombaient, vomissaient du sang, c’était vraiment dangereux et très stressant. Une fois au sommet, il est recommandé de ne pas rester plus de quinze minutes, mais nous on a dû rester une heure pour tourner, sans une partie de l’équipe qui était déjà redescendue…

Comme dans Casa Grande, vous jouez de longs plans-séquences, notamment lors de la houleuse discussion entre Gabriel et sa petite amie dans un bus.
J’aime exposer la mise en scène, la géographie, la négociation des corps dans un espace, ne pas les cacher derrière le découpage. J’aime que le rythme et le montage soient établis par les comédiens eux-mêmes dans le cadre. Un plan-séquence, c’est risqué, c’est frustrant: pour la scène du bus, on a fait neuf prises, avec chacune un moment spécial, et il faut choisir un plan, avec ses imperfections. Mais j’aime cette idée de sacrifice, de choix, c’est important au cinéma pour établir un style.

Votre film était présenté à Cannes à la Semaine de la critique, présidée cette année par Kleber Mendonça Filho – dont le film Aquarius a été retenu en Compétition officielle l’an dernier. Le cinéma brésilien a le vent en poupe ?
Quand j’ai commencé à étudier le cinéma, à la fin des années 1990, la production était quasi nulle au Brésil, on sortait un film par an. Aujourd’hui, on produit environ cent cinquante films par an, grâce au système de financement et de soutien mis en place par le gouvernement de Lula. Ça change notre approche du métier. Avec un film par an, il fallait parler de ce qu’il y a d’important pour le pays, c’était une obligation morale de parler de la misère dans les années 1980-1990; quand il y en a cent cinquante, on peut parler des choses importantes pour nous : on peut parler d’amour, de notre quartier, comme Kleber l’a fait dans Les Bruits de Recife… L’essor de la production a permis l’apparition d’un cinéma plus personnel, ça a ouvert le paysage.

« Gabriel et la Montagne »
de Fellipe Barbosa
Version Originale / Condor (2 h 07)
Sortie le 30 août

Tags Assocíes

  • interview

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