Constance Vilanova : « La télé-réalité est un miroir grossissant de notre société »

[INTERVIEW] Avec la série « Culte », sur les coulisses du lancement de Loft Story en 2001, les films « Diamant brut » (en salles le 20 novembre, lire ci-contre) ou « Les Reines du drame » (en salles le 27 novembre, lire p. 46), la fiction retravaille la télé-réalité. Constance Vilanova, journaliste et autrice de l’édifiant « Vivre pour les caméras » (2024, JC Lattès), décrypte pour nous l’engouement actuel pour ce phénomène passionnant.


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Comment la télé-réalité a-t-elle modifié l’image de la star, créée par le cinéma ?

La télé-réalité a mis la banalité et les classes populaires à l’écran à une période où le paysage audiovisuel français était dominé par la bourgeoisie et les CSP+ [catégories socioprofessionnelles les plus favorisées, ndlr]. Depuis Loft Story, en 2001, tout le monde peut avoir son quart d’heure de célébrité. Les candidats capitalisent sur leur corps et leur personnalité. Pour le public, leurs fans, il y a un lien de proximité et d’identification très fort qui se crée avec ces personnalités issues d’un milieu populaire.

Actuellement, les émissions phares des années 2000 comme Star Academy, Secret Story ou Popstars reviennent aussi en force à la télévision. Pourquoi ?

D’abord parce que l’esthétique des années 2000 fonctionne très bien auprès de la jeune génération. s’inscrit complètement dans ce sillage-là. Et depuis le Covid et les récents conflits en Ukraine et au Proche-Orient, nous sommes dans une période de crise diplomatique et financière. Le public a besoin de doudous rassurants. Parier sur le levier nostalgie permet aux boîtes de production de ne pas prendre trop de risque, car le programme existe déjà.

Les Reines du Drames d’Alexis Langlois © Les Films du Poisson

Quelles différences y a-t-il entre les émissions des années 2000 (Loft Story, Star Academy) et celles d’aujourd’hui (La Villa des cœurs brisés, Les Cinquante) ?

Un virage s’est opéré en 2011 avec Les Anges de la téléréalité [des candidats, cohabitant dans une villa luxueuse à l’étranger, tentaient d’accomplir leurs objectifs professionnels, ndlr]. La Grosse Équipe [la boîte de production derrière ce programme, ndlr] a fait appel à des personnalités ayant déjà participé à des émissions. Être candidat est devenu un métier. Le public s’est mis à suivre une personne et non un programme. Désormais, nous sommes face à des professionnels de la séquence.

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Comment expliquez-vous que le cinéma s’intéresse soudain à la télé-réalité ?

Pendant vingt ans, la télé-réalité a été diabolisée et snobée par les médias mainstream et institutionnels, qui en ont fait un angle mort. Par ricochet, les universitaires, les milieux artistiques et même les militants féministes ne se sont pas non plus emparés de ce phénomène de masse. Avec le mouvement MeToo, la société a commencé à s’intéresser aux victimes de violences sexistes et sexuelles. Il y a eu un regain d’intérêt pour la télé-réalité, mais ça a mis du temps. Car, comme les candidates viennent de milieux populaires et que leur corps est leur instrument de travail, elles ont longtemps été considérées comme de mauvaises victimes.

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Diamant brut d’Agathe Riedinger © Pyramide Distribution

Comment interprétez-vous l’expression « diamant brut », utilisée dans le titre du film d’Agathe Riedinger sur une jeune Fréjusienne qui postule à une émission de télé-réalité, mais aussi dans Les Reines du Drame pour décrire une candidate de télé-crochet ?

Après le succès de Loft Story, les boîtes de production se sont mises à chercher leur Loana, leur « Marilyn des faubourgs ». Les équipes castent alors des jeunes femmes souvent victimes de violences très jeunes, pour les manipuler à leur guise et en faire des bêtes de foire dans des émissions. Sur ce point, la scène de casting de Diamant brut est extrêmement réaliste.

Les deux films abordent le thème de la santé mentale, un sujet qui prend de l’ampleur dans la société. Pourtant, celle des candidats de télé-réalité semble peu considérée. Pourquoi ?

À cause du mépris de classe. On oublie les raisons qui poussent les candidates à participer à ces émissions et on se dit souvent : « Si elles ne sont pas bien dans leur peau, elles n’avaient qu’à pas y aller. » Or, Diamant brut le montre : la télé-réalité instrumentalise les rêves de célébrité et de beauté de jeunes filles, souvent issues d’un milieu précaire, pour les manipuler. Et puis, dans ce secteur, ce thème est mal vu car, si les candidates ont des fragilités, elles ne peuvent pas participer aux émissions. La production leur propose des suivis psychologiques à la sortie, mais, dans les milieux populaires, aller chez le psy rime parfois avec folie et instabilité, donc elles se disent qu’elles n’en ont pas besoin. C’est un réflexe assez bourgeois de parler de santé mentale.

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Quelles représentations la télé-réalité donne-t-elle des femmes ?

La télé-réalité est un miroir grossissant de notre société. Tout y est exacerbé : le racisme, le sexisme, mais aussi les corps. Il y a une vraie banalisation de la chirurgie esthétique. On s’habitue à voir ces silhouettes complètement inaccessibles, mais auxquelles sont constamment exposées les adolescentes. Quand on est une femme, pour exister dans ces programmes, il faut montrer son corps et se mettre en couple. Les rapports entre les genres sont encore très stéréotypés et patriarcaux. Les femmes rêvent de se marier, d’avoir des enfants et de changer le « charo » [expression d’argot issue de « charognard » pour désigner un homme à femmes, ndlr] en homme à marier.

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Culte de Matthieu Rumani et Nicolas Slomka © Fanta Kaba

L’émission Frenchie Shore, diffusée en 2023 sur MTV et mettant en scène un groupe de vingtenaires passant l’été ensemble dans une villa, a pourtant essayé de rééquilibrer cela…

Au début, les candidates s’y présentaient comme des prédatrices à la sexualité libérée, égale à celle des hommes, c’était intéressant. Mais, après quelques épisodes, les schémas patriarcaux ont repris le dessus, avec l’apparition de triangles amoureux exacerbant les rivalités féminines. C’est la même chose pour la représentation des minorités : la télé-réalité ne propose qu’une visibilité de façade. Les lesbiennes sont complètement invisibilisées, les gays sont réduits au statut du confident qui n’a pas le droit de vivre des histoires d’amour.

Quel avenir pour la télé-réalité ?

Trois chemins se dessinent. Celui de la bienveillance totale avec des programmes très familiaux comme Star Academy, mais où le public de ma génération [Constance Vilanova est née en 1993, ndlr] s’ennuie. Un autre cap, c’est celui d’émissions beaucoup plus trash, qui respectent la promesse de la télé-réalité d’exacerber les failles de la société, comme Frenchie Shore. Enfin, il y a la volonté de renouveler la télé-réalité par le jeu, comme avec Les Cinquante [des influenceurs s’affrontent pour faire remporter de l’argent à un de leurs abonnés, ndlr].