
« Nous allions mourir de faim sur nos appareils, racontera Dulaar des années plus tard, Méliès nous a donné à manger ». Dans les décennies suivantes, le cinéma a dû constamment, comme l’a fait Méliès, prouver sa capacité d’émerveillement pour échapper à ces innombrables morts annoncées.
Alors que la télévision menace l’industrie, Cecil B. De Mille ravive l’intérêt du public avec Les Dix Commandements en 1956, superproduction tournée dans le format large VistaVision et remplie de visions ahurissantes. À la fin des années 70, les grands studios américains sortent d’une crise historique grâce aux combats spatiaux virevoltants de La Guerre des Étoiles. Et plus récemment, alors que toute l’industrie tremblait face à la popularité grandissante du streaming et du téléchargement illégal, Cameron a ramené le public dans les salles avec le monde extraterrestre ultra réaliste d’Avatar.
Conséquence édifiante du gage offert par le cinéma à son public : depuis une trentaine d’années, chaque bande-annonce de blockbuster se conclut sur ce que l’industrie surnomme un « money shot », autrement dit un plan impressionnant et relevant du jamais vu, en somme la garantie d’un spectacle inédit qui justifierait à lui seul l’achat du billet.

Or, à l’ère des I.A., n’importe quel internaute un peu expérimenté va bientôt pouvoir concevoir à domicile ce qui était auparavant l’apanage du grand spectacle cinématographique. Un changement radical de paradigme qui s’accompagne de la décrépitude du star system et d’un net affaiblissement des grosses franchises sur lesquelles se sont basées quantités de blockbusters.
Plus que jamais donc, on peut se demander quelle sera la prochaine source d’émerveillement du cinéma qui ramènera le grand public en salles. Il est, bien entendu, vain de jouer les Cassandre à ce stade, mais on peut néanmoins émettre l’hypothèse que l’I.A. pourrait paradoxalement conduire les cinéastes à se recentrer sur des enjeux plus intimes et plus authentiques, comme la véracité d’une interprétation ou une revalorisation du cinéma du réel. On peut aussi imaginer que les prochains succès se recentreront sur une trouvaille inédite : l’idée plutôt que le spectaculaire en somme.
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Mais, surtout, il est important de rappeler que la prouesse technologique n’a jamais été suffisante. Si les films précités ont réussi à attirer le public sur la promesse d’une sidération visuelle, au final c’est le talent de conteur de leurs auteurs qui reste la clé de ces succès historiques. Si la technologie est intrinsèquement liée au cinéma, il est impérieux de rappeler encore et toujours que les prouesses visuelles n’ont jamais été une fin mais bien un moyen dans tous ces succès historiques, qu’il s’agisse de Méliès ou de Cameron.
EN + Puisque l’on parle d’Avatar, rappelons qu’en septembre dernier James Cameron a rejoint le conseil de direction de Stability AI. Pour mémoire, le dernier Avatar utilisait déjà énormément des technologies basées sur les I.A., en particulier pour la gestion des mouvements des personnages numériques.
EN + Les vidéastes Slexno et François Theurel s’interrogent sur ce qu’est un « money shot », en particulier à l’heure où le public semble de plus en plus blasé.
I.A. PLAYLIST
Des internautes ont fait une découverte glaçante : en se contentant d’indiquer dans leurs prompts de simples noms de fichiers, comme « IMG_013 », ils obtiennent un résultat confondant de réalisme. Plusieurs observateurs y voient la preuve que les générateurs ont été entrainés, aussi, sur des images privées d’internautes lambda.
Le réalisateur John M. Chu, qui a monté son nouveau film Wicked en réalité virtuelle, partage son avis plutôt enthousiaste sur les I.A. : « C’est un outil qui nous contraint à réfléchir ». La suite, en anglais, dans ce lien.
Une étrange relecture, assurée via plusieurs outils I.A., de l’une de scènes les plus traumatisantes de L’Exorciste.
Une interview passionnante de Kevin Baillie, superviseur des effets spéciaux visuels de Here de Robert Zemeckis, dans laquelle il détaille l’utilisation par l’équipe de divers outils I.A. (en anglais).