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Un bras de femme dans « Le Septième Voyage de Sinbad » de Nathan Juran

  • Jérôme Momcilovic
  • 2019-03-08

Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Geste inattendu d’un acteur, couleur d’un décor, drapé d’une jupe sous l’effet du vent : chaque mois, de film en film, nous partons en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches où s’engouffre l’émotion du spectateur. Ce mois-ci : un bras de femme et de poupée, dans Le Septième Voyage de Sinbad, de Nathan Juran (1958).

Le sorcier a prédit un grand malheur, d’autant plus sûr qu’il naîtra de sa main. La princesse, ingénue, amoureuse surtout, s’en réjouit presque sous le ciel de lune où Sinbad, après l’oracle, lui souhaite bonne nuit: les présages du sorcier sont autant de promesses d’en être délivrée par Sinbad, et consolée dans ses bras. Le mariage est pour demain. Et le sorcier évidemment profite de sa dernière nuit seule pour jeter sur elle le sort promis : dans son sommeil elle va devenir minuscule, grande comme la main, une infime poupée.

Sorti en 1958, Le Septième Voyage de Sinbad est moins l’œuvre de Nathan Juran, jadis décorateur pour Ford (Qu’elle était verte ma vallée), que celle de Ray Harryhausen, qui y expérimente la merveilleuse animation en volume à laquelle il a donné le nom magique de Dynamation. Le film a marqué surtout pour les créatures merveilleuses, cyclope à pattes de centaure, aigles géants et bicéphales, squelette vivant annonçant l’armée funèbre de Jason et les Argonautes (Don Chaffey, 1963), auxquelles Harryhausen a donné vie en couleurs dans un peu de latex.

Le bras : une métonymie pour signifier la métamorphose

Mais c’est un effet plus discret qui est le plus beau de tous : la miniaturisation de la princesse. Caressée par ses doux rêves d’amoureuse et par les cuivres languides de Bernard Herrmann, elle dort en sourire béat quand le sorcier se glisse derrière les voiles secoués de vent. Le sort est aussitôt jeté: le cierge à côté du lit crache une fumée glauque qui fait se retourner la princesse, son bras gauche étendu sur le drap de soie. Un plan alors, un seul, pour enregistrer la métamorphose, une géniale métonymie sous la forme d’un bête trucage optique. Le bras se déplace, croit-on, avant de comprendre qu’il rapetisse: aspiré par le hors-champ immédiat, devenu serpent qui glisse en silence le long du drap. Un tour de passe-passe géométrique, et vraiment terrifiant: à mesure que le bras diminue, les doigts s’animent et la main devient celle d’une petite fille aussi bien que d’une vieille dame. C’est un corps qui, dans les deux cas, rapetisse moins qu’il ne se vide de sa substance, une main de femme devenue par la grâce d’un trucage une main de poupée.

Et c’est bien une poupée qui semble avoir remplacé la princesse, quand au réveil elle appelle à l’aide au milieu de son oreiller, dont le relief et la dorure évoquent autour d’elle un désert de dunes. C’est une poupée que Sinbad, en attendant de rapporter l’antidote, cache dans une luxueuse boîte bordée de pierres précieuses. Et c’est une poupée moins par l’effet du sort que par la joie enfantine de Harryhausen à trouver prétexte en tout (fantaisies orientales ou mythologie grecque, passées par l’influence notoire de Gustave Doré) pour ramener le monde à l’échelle d’un jeu d’enfant – jusqu’au génie de la lampe qui, lui aussi revenu des Mille et Une Nuits, a ici les traits d’un garçon de 8 ans. Pauvre princesse, réduite aux dimensions d’un jouet dans les mains de son homme? Juran l’avait vengée par avance: son précédent film s’appelait L’Attaque de la femme de 50 pieds.

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