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Ducastel et Martineau, garçons formidables

  • Quentin Grosset
  • 2016-04-27

Je voudrais vous faire commenter cette réplique dite par Hugo dans le film : « La nuit appartient aux femmes et aux pédés. »
Jacques Martineau :
Oh ! la vache ! c’est moi qui ai écrit cette bêtise ! Lorsqu’on tournait la nuit à l’hôpital, on s’est rendu compte qu’il n’y a presque que des femmes, principalement noires ou arabes, qui exercent les boulots de nuits ingrats. Quant aux gays, on sait tous qu’ils ont tendance à beaucoup sortir la nuit…

On relie souvent votre œuvre à celle de Jacques Demy, notamment parce que votre premier film, Jeanne et le Garçon formidable, lui rendait hommage. Ici, on pense plutôt à Agnès Varda, sa compagne, et plus particulièrement à Cléo de 5 à 7 (1962) – on retrouve l’intrigue en temps réel, l’horizon de la maladie…
Olivier Ducastel :
J’ai rencontré Agnès quand j’étais assistant sur Trois places pour le 26 (1988), le dernier film de Jacques Demy. Ensuite, on a eu l’occasion de la recroiser quand on a fait Jeanne et le Garçon formidable. Elle aimait beaucoup lescénario, et elle avait demandé à Mathieu Demy si elle pouvait nous faire part de quelques suggestions… Après ça, elle avait choisi de passer sur le tournage le jour où on mettait en boîte une scène de manif d’Act Up. Ça nous avait vachement touchés qu’elle vienne précisément ce jour-là. Pour Théo & Hugo…, une première version du scénario se déroulait le temps d’une nuit ; une autre était très éclatée, sur vingt-neuf jours. En revoyant Cléo…, on s’est rendu compte qu’Agnès avait raison sur l’utilisation du temps réel. Avant le tournage, on a été la voir pour lui dire que, cette fois-ci, on penserait plus à elle qu’à Jacques.
J. M. : C’est une grande réalisatrice, qui ose aller ailleurs, qui prend le risque de se casser la gueule. Y’en n’a pas tant que ça, des comme elle ! Alain Cavalier peut-être… Elle nous a souvent aidés. Quand on est un peu poussés aux marges de l’industrie cinématographique, un appui comme Varda, ça aide…


Vous avez le sentiment d’avoir été relégués à la marge ?
J. M. : On a toujours eu du mal à financer nos films. Là, on sort d’une période pendant laquelle on a un peu galéré. On a voulu essayer des choses plus grand public, plus hétéro, mais rien n’a abouti.
O. D. : Et on s’est fait jeter par la commission de l’avance sur recettes de manière un peu scandaleuse. Ils avaient une énorme suspicion par rapport à la première partie du film. Ils pensaient qu’on n’allait pas oser la pornographie, parce qu’on les avait habitués à plus de pudeur. Ensuite, ils ont dit que le film était une très petite chose, avec un scénario ennuyeux et un sujet démodé. Il y aurait même une personne de cette commission qui aurait dit : « C’est si grave d’avoir des rapports à risque aujourd’hui ? »

Qu’est-ce qui a motivé votre envie de filmer le sexe de façon si explicite dans la longue séquence d’ouverture, celle de la rencontre entre Théo et Hugo dans un sex-club ?
O. D. : Depuis Jeanne et le Garçon formidable, on filme des histoires d’amour, mais de façon un peu sage. Pour Drôle de Félix, on avait tourné des scènes plus sensuelles, mais elles n’ont pas été retenues au montage – les acteurs étant hétéros, ils ne bandaient pas. Donc on avait une sorte de frustration. Ces dernières années, dans certains films – Week-end d’Andrew Haigh ou L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie, par exemple –, des réalisateurs ont tenté des choses intéressantes, et ça nous rendait un peu jaloux. On se questionnait : « Est-on capables de demander ça à des acteurs ? »


Le film est l’un des premiers à évoquer le T.P.E. (traitement post-exposition), une trithérapie d’un mois qui est prescrite en urgence après une exposition au V.I.H. En montrant les démarches à suivre après un rapport sans capote, il prend une valeur pédagogique.
J. M. : On s’est rendu compte que cette question n’avait pas encore été montrée concrètement au cinéma. Ce qui nous intéressait surtout, c’est que, lorsqu’un tel accident arrive, les gens ne savent pas pourquoi ils ont pris un risque, ils sont incapables de se l’expliquer.
O. D. : Personnellement, j’ai un peu de mal avec l’idée de pédagogie. Je parlerais plutôt de trouée documentaire. J’ai toujours aimé les films de fiction dans lesquels, soudain, le réel s’introduit. Un de mes chocs de cinéma, c’est Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais, quand j’avais 17 ans. J’étais sidéré qu’il soit à la fois aussi romanesque et aussi scientifique.

Ce que vivent les personnages est dur. Pourtant, ça ne les empêche pas de tomber amoureux, d’être légers. Cette force de vie est une constante dans votre cinéma. Par exemple, vous avez souvent montré des personnages à la fois séropositifs et heureux.
J. M. 
: Contre le marasme, contre la représentation forcément dépressive des séropos et des homos, on essaye de promouvoir une autre image.
O. D. : Je me souviens d’une projection de Jeanne et le Garçon formidable après laquelle un jeune homme avait pris la parole. Devant toute la salle, il avait dit : « Je suis séropo, j’ai trouvé votre film un peu déprimant. Pourriez-vous envisager de faire un film sur un séropositif qui le vivrait bien ? » On venait tout juste de finir le scénario de Drôle de Félix, dans lequel on a fait très attention à ce que le héros ait ce rapport épanoui au monde.

Le film évoque fortement la Nouvelle Vague : il y a ce romantisme de la flânerie parisienne, le titre qui fait penser à Céline et Julie vont en bateau de Jacques Rivette… Et le générique en bleu, blanc, rouge ressemble à celui de Pierrot le fou de Jean-Luc Godard.
J. M.
 : On assume cet héritage au premier degré. C’est-à-dire qu’on n’est pas dans la référence, ni le clin d’œil. C’est un état d’esprit plus qu’autre chose.
O. D. : Quand j’étais étudiant à Censier, je me rappelle un cours de cinéma pendant lequel un élève avait fait une citation très affirmée dans le cadre d’un devoir. Les autres étudiants lui ont reproché d’avoir copié. Le prof leur a dit : « Vous vous trompez : on ne vole que les bonnes idées. » Si une idée est bonne et qu’on a envie de l’adopter, on a le droit.

À quoi tient le parti pris de filmer la nuit parisienne de façon quasi onirique ? Il semble n’y avoir personne dans les rues.
J. M. : Moi, quand je me balade et que je rentre un peu tard, j’ai cette impression de grande solitude, même si ce n’est pas tout à fait vrai. On a essayé de représenter ce sentiment.
O. D. : On voulait une nuit très sombre. Ce n’est pas nous qui sommes antinaturalistes ; c’est simplement qu’au cinéma on veut toujours trop éclairer. C’était une grosse difficulté pour le chef opérateur, parce qu’il y a des températures de couleurs variables d’une rue à l’autre. L’image est beaucoup retravaillée à l’étalonnage, pour essayer de donner à la nuit un côté plus bleuté.


Au fil de leur errance, les deux héros font plusieurs rencontres fortuites. Il y a l’idée de dessiner un portrait de la France contemporaine à travers ces quelques personnages ?
J. M. : Les gens qu’ils rencontrent se rendent bien compte que Théo et Hugo sont amoureux, et ça déclenche chez eux un désir de parole, l’envie de se confier sur des choses très intimes. Quand ils passent par un kebab, par exemple, ils tombent sur un Syrien qui laisse entendre qu’il a dû quitter son pays parce qu’il n’était pas libre d’aimer qui il voulait. Ça m’arrive tout le temps d’être confronté à des immigrés qui se mettent à parler d’eux, je trouve ça très émouvant.

Théo & Hugo dans le même bateau
d’Oliver Ducastel et Jacques Martineau (1h37)
sortie le 27 avril

Tags Assocíes

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