
Le cinéma a fait ses choux gras de la figure du stalker, tellement obsédé par sa star favorite qu’il tombe dans le harcèlement. On pense à Bodyguard (1992) de Mick Jackson ou Perfect Blue (1997) de Satoshi Kon, dans lesquels les stars sont pourchassées par des fans psychopathes. Ces récits sont autant de mises en garde sur le culte obsessionnel de la célébrité. Le terme de « fan » lui-même, d’abord utilisé dès la fin du xviie siècle en Angleterre pour renvoyer au fanatisme religieux, puis au zèle politique, n’est pas non plus très engageant.

Pour le sociologue Gabriel Segré, auteur de Les Fans. Une approche sociologique (2020, Presses universitaires Blaise-Pascal), les chercheurs américains, au sein des cultural studies – John Tulloch, Lisa Lewis… –, ont permis, dès la fin des années 1980, de réhabiliter les fans via leurs projets de recherches – les fan studies –, là où des sociologues, des journalistes et des psychologues français les avaient souvent délégitimés, les renvoyant à leurs excès, leur immaturité, leur aliénation aux industries culturelles.
Les penseurs américains insistaient plutôt sur leur résistance, leur créativité via les fan arts ou les fan fictions, leur manière de créer une communauté autour de leur passion, aussi leur façon de s’approprier les œuvres – dans un sens, d’y collaborer.

HYPER FANS
Simon Clair, auteur du livre Corée. La K culture (2022, E/P/A) et collaborateur de TROISCOULEURS, analyse pour nous ce rapport de dépendance entre les fans de K-pop et leurs idoles :
« Tu ne peux pas être une star de K-pop si tu ne prends pas en compte l’avis de ton public. Sur YouTube, tu trouves des comptes de fans de BTS ou de Blackpink qui vont dire : la consigne du jour, c’est d’aller regarder dix fois leur nouveau clip. C’est comme ça que ces groupes arrivent à des milliards de vue en un temps record. Les fans deviennent alors des influenceurs puissants, parfois porteurs d’une impressionnante force de frappe politique. »
En 2020, des fans de K-Pop vivant aux États-Unis, se fédérant autour des valeurs progressistes de leurs groupes préférés, se sont coordonnés sur TikTok pour faire échouer un meeting de Donald Trump en achetant toutes les places pour que la salle finisse vide. On note également leur forte implication sur les réseaux lors du mouvement Black Lives Matter.

Mais cet engouement politique des fans ne va pas toujours dans le sens du progressisme. Interviewée par franceinfo en octobre dernier, à la suite d’accusations de viols et d’agressions sexuelles visant le rappeur P. Diddy, Caroline Heldman, cofondatrice de la Sound Off Coalition luttant contre les violences sexuelles dans l’industrie musicale, faisait un triste constat :
« Depuis que je travaille avec [des victimes de violences sexuelles] de plusieurs milieux, je n’ai jamais rien vu de tel que le dévouement des fans pour les artistes musicaux [accusés de violences, ndlr]. »
Et pour cause, l’écoute de la musique de Diddy a fait un bond de 18,3 % sur les plateformes la semaine de son arrestation, en septembre dernier. Pour autant, cette vénération aveugle tend à être contestée par des fans qui interrogent leur propre statut – c’est le cas de ceux de l’hyperpop, née dans les années 2010 et portée par des artistes comme Sophie, Charli XCX ou 100 Gecs, vantant la plasticité, la fluidité ou l’artificialité.
Julie Ackermann, autrice d’Hyperpop – la pop au temps du capitalisme numérique (2024, Façonnage Éditions), avance que le rapport au monde de ce courant, construit sur une réappropriation queer, antisexiste et très méta de l’esthétique des années 2000, se caractérise par un mélange de sincérité et d’ironie.

On pourrait donc se dire qu’aujourd’hui les fans ne seraient pas moins fans, mais seraient plus enclins à performer le fait de l’être. C’était tout le sens du Brat Summer, tendance lancée par Charli XCX l’été dernier, du nom de son album Brat (« sale gosse », « chipie »). OK, en tant que fans, on portait fièrement la couleur vert morve de la pochette, mais c’était pour revendiquer avec dérision l’attitude brat, tout sauf docile. Pas dupes, mais toujours à fond.