Pablo Trapero, famille je vous haime

Ce film est à la fois une histoire de famille, la transposition d’un fait divers, un portrait de l’Argentine corrompue… C’est autant un film de famille qu’un film sur la famille, je crois. On suit le quotidien des Puccio, on observe comment cette famille vit parallèlement aux activités criminelles du père, voire y participe. C’est aussi


Ce film est à la fois une histoire de famille, la transposition d’un fait divers, un portrait de l’Argentine corrompue…
C’est autant un film de famille qu’un film sur la famille, je crois. On suit le quotidien des Puccio, on observe comment cette famille vit parallèlement aux activités criminelles du père, voire y participe. C’est aussi le regard d’un fils sur son père – et son besoin de s’en émanciper. C’est un mélodrame familial construit autour d’un fait divers criminel. Si j’osais, je dirais même que c’est une tragédie classique, autour du père, du fils, de la fatalité, le tout baignant dans le crime et la politique.

Bien que le film soit inspiré d’une histoire vraie, il est peuplé d’archétypes d’un pur film noir (femmes fatales, truands, héros). Faites-vous du cinéma de genre ?
Quand je filme des otages, une famille, un patriarche inquiétant, j’ai forcément des images de cinéma qui me viennent en tête. Ce sont des souvenirs de spectateur qui, inconsciemment, ou consciemment parfois, m’amènent à créer la forme de mon film. Pour El Clan, j’avais en tête des images de Buñuel, de Scorsese, de Peckinpah. Cette histoire a beau être tirée d’un fait divers, être réelle, je ne vois pas pourquoi ma mise en scène devrait être réaliste. L’histoire de la famille Puccio est incroyable, ça tient vraiment du scénario le plus rocambolesque, et pourtant tout est vrai. Mes films précédents sont des histoires très quotidiennes, avec des personnages pas du tout héroïques. C’est parce que tout d’un coup le cinéma les regarde que ce qu’ils vivent devient extraordinaire. Pour El Clan, j’avais presque envie de l’inverse ; de redonner à cette famille criminelle une intimité, un quotidien où elle serait comme les autres. Je trouvais fou que le père Puccio emmène sa fille à l’école comme si de rien n’était alors qu’il y avait une femme kidnappée dans sa cave. Ce contraste entre l’incroyable et l’ordinaire, pour moi, c’est ça le cinéma.

Les ressorts dramatiques de ce fait divers sont en effet très romanesques, parfois à peine croyables. N’avez-vous pas eu peur d’être débordé par cet aspect de l’histoire ?
Constamment. Cette histoire est tellement folle que j’ai eu peur que le public ne l’accepte pas. Tout mon travail sur le scénario a justement consisté à rendre crédible ce qui était vrai. J’ai essayé, le plus possible, de redonner du temps à ces personnages, de les sortir de la tragédie pour qu’ils existent au-delà ; ce qui explique le caractère fragmenté du film, d’ailleurs. Le quotidien coexiste avec l’aspect criminel. C’était risqué, parce que ce n’est peut-être pas ce que les gens veulent voir quand on leur raconte une histoire aussi célèbre.

Comment s’empare-t-on d’un fait divers ?
C’est une histoire que je porte depuis longtemps, au moins depuis le tournage de Leonera (2008). Je me suis rendu compte qu’on a très peu d’informations sur la vie de cette famille et sur son fonctionnement avant que tout ceci ne soit découvert. Je me suis mis à faire des recherches sur leur quotidien, leur intimité, ce qui me semblait la clé de cette affaire. J’ai rencontré des connaissances, des amis, des voisins des Puccio, ce qui m’a permis de créer ma vision de la vie de cette famille à l’intérieur de leur maison. Après, tout ce qui tient des faits criminels, c’est une reconstitution précise de ce que l’on sait par le procès. On est revenu sur les lieux pour s’approcher au plus près de l’affaire.

Vous racontez le fait divers du point de vue d’un des fils, victime collatérale et complice de l’affaire. Pourquoi ne pas avoir choisi celui du père, véritable instigateur de ces kidnappings ?
Parce que je crois que le mal est plus intéressant à observer qu’à incarner. Alex, le fils, est un personnage plus intéressant, parce qu’il est à la fois victime et bourreau. Il est sous la coupe de son père, il ne sait pas comment s’en sortir ; en même temps il profite de son crime. C’est cette ambivalence-là qui me semblait être la meilleure façon de rentrer dans la famille, pour mieux la raconter.

Le film laisse entendre qu’Arquímedes Puccio a été protégé par le gouvernement argentin. Pourquoi ne pas avoir davantage insisté sur la dimension politique du fait divers ?
Ce n’était pas le sujet, même si le film me paraît politique dans sa manière de montrer comment un individu peut agir en toute impunité, comment le crime peut devenir un moyen de gagner sa vie. Arquímedes a l’habitude du crime ; on sait d’ailleurs qu’il a travaillé pour les renseignements, avant d’être mis sur la touche. Cette banalisation dit quelque chose du climat politique de l’Argentine dans les années 1980.

Vos films mêlent toujours des séquences spectaculaires, comme ici avec les kidnappings, à des moments intimistes ; vous faites des films d’action avec des héros malheureux…
J’aime les films d’action, j’aime quand le cinéma vous cloue au fauteuil. Mais je crois que je ne pourrais pas filmer des personnages qui ne m’intéressent pas, des personnages qui ne sont que des corps en mouvement. Même si on aime l’adrénaline au cinéma, je pense que, au final, on ne se souvient vraiment que des personnages. Peut-être parce qu’ils produisent une empathie, des émotions qui nous ramènent à nous.

De par leur énergie, leurs thématiques, leurs personnages très virils, leur manière de se frotter au cinéma de genre, leur utilisation de la musique, vos films évoquent ceux de Martin Scorsese. Seriez-vous le Scorsese argentin ?
Oh ! si seulement ! C’est un cinéaste que j’admire énormément. Bien sûr que ses films sont un modèle pour moi. Ils m’ont aidé à comprendre comment raconter des histoires. Mais, plus que formellement, je voudrais me réclamer de Scorsese pour sa liberté, son esprit rebelle. Je voudrais comme lui pouvoir prendre constamment des nouveaux chemins, me remettre en cause, inventer de nouvelles manières de parler du monde qui m’entoure. Scorsese prouve à tous les gens qui font du cinéma qu’on ne peut faire ce métier qu’en étant pleinement engagé dedans.

PROPOS RECUEILLIS PAR RENAN CROS
El Clan
de Pablo Trapero (1h48)
avec Guillermo Francella, Peter Lanzani…
sortie le 10 février