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Focus sur Thundercat, bassiste et producteur hors pair

  • Louis Michaud
  • 2020-04-01

Protagoniste de la bouillonnante scène de Los Angeles, acolyte de Kendrick Lamar et de feu Mac Miller, le prodigieux bassiste Thundercat revient sur It Is What It Is en (bonne) compagnie des Californiens Steve Lacy, Kamasi Washington, Louis Cole et bien d’autres pour un revival seventies funk et A.O.R. Du Steely Dan à la sauce electro-R&B, pour le meilleur et pour le kitsch.

Le 7 septembre 2018, à 26 ans, Mac Miller succombait à une overdose dans sa villa californienne. Un vilain cocktail d’alcool, de cocaïne et de fentanyl, drogue ravageuse devenue célèbre pour avoir enterré Prince et Tom Petty. La veille, le jeune rappeur planifiait au téléphone une tournée à venir, celle qui devait promouvoir la publication toute récente – une semaine plus tôt – de Swimming, sa plus grande réussite discographique. Au bout du fil, son vieux copain Thundercat, bassiste et producteur, qui l’a accompagné sur quatre disques et a grandement participé à son évolution vers un hip-hop empreint de soul-funk, de jazz et de soft-rock. Un drôle d’oiseau, ce Thundercat : un look pas possible, ex-requin de studio capable de passer de la nu-soul d’Erykah Badu au thrash-metal de Suicidal Tendencies.

Un instrumentiste étourdissant au son de basse granuleux, épais, avec des lignes improvisées sorties de l’espace, qui rappellent les envolées de Jaco Pastorius. Un musicien west coast jusqu’au bout des ongles – vernis de toutes les couleurs –, né en 1984 à Los Angeles et qui désormais fait la pluie et plus encore le beau temps de la hype californienne avec des productions d’une foisonnante richesse stylistique. En ce printemps 2020, Stephen Lee Bruner, de son vrai nom, publie son cinquième album, It Is What It Is. Un enregistrement coproduit par Flying Lotus – ponte de l’electro de L.A. et patron du label Brainfeeder – sur lequel il poursuit ses aventures, un pied dans les années 1970, l’autre dans le futur.

 

 

UNE ÂME SEVENTIES

Dès son premier disque, en 2011 (The Golden Age of Apocalypse), Thundercat dévoile un univers musical d’une grande densité, tout en références, qui, sous les apparences de textures electro très contemporaines, invoque quatre décennies de musique : le jazz-funk de Herbie Hancock et des Headhunters, celui plus récent de Robert Glasper tourné vers le hip-hop et la nu-soul, une once de disco, de néo-R&B et, chose incontournable, des ballades ultra kitsch portées par des harmonies spacieuses et des chœurs solaires – le son californien d’un rock qu’on dit « soft » ou A.O.R. (pour adult oriented rock), incarné dès le mitan des années 1970 par The Doobie Brothers, Fleetwood Mac et, au sommet du genre, Steely Dan. Un courant très lettré, très peaufiné, méprisé par l’explosion punk de cette même décennie et par bon nombre d’amateurs de rock, une musique considérée jusqu’à il y a peu comme désuète, d’un mauvais goût absolu et qui, miracle des cycles de la mode, est revenue au summum du cool. Thundercat est précisément l’un des artisans – et certainement le plus influent – de ce revival.

Et comme si les références ne semblaient pas assez claires, lors de l’enregistrement de son disque Drunk, en 2017, Bruner choisit de ressortir du placard le temps d’un single, « Show You the Way », l’ex-ringard Michael McDonald, claviériste et chanteur passé par les formations mythiques citées plus haut, Steely Dan et The Doobie Brothers. La plage, l’océan, un S.U.V. aux fenêtres grandes ouvertes. Une certaine idée de l’Amérique. Pas la pire. Pas la meilleure non plus. Autres invités de marque sur Drunk, Pharrell Williams et Kendrick Lamar. De quoi élargir la popularité de Thundercat à peu près au même moment où son nom est doublement associé à celui du nouveau prophète du hip-hop pour l’album To Pimp a Butterfly. L’année suivante, il apparaît sur Heaven and Earth aux côtés du saxophoniste Kamasi Washington, présenté par la presse comme le sauveur du jazz, s’il lui en fallait un. Pour Mac Miller, enfin, il dessine la prodigieuse ligne de basse de « What’s the Use », sortie tout droit d’une bande-son de GTA. San Andreas, et dont une version live – incontournable – a été mise en boîte par la radio NPR lors d’un fameux Tiny Desk Concert. Plus de trente-deux millions de vues. Une broutille.

NOUVEL ALBUM, NOUVEL HOMME

Quelques semaines plus tard, la perte du copain Mac, à qui il se rappelle avoir souhaité «bonne nuit» au téléphone juste avant le drame, l’incite, après Drunk, à découvrir les joies de la sobriété. Sa musique n’en est pas moins éruptive ; le personnage, pas moins fantasque. Depuis des mois, pour la promotion des premiers singles distillés au compte-gouttes d’It Is What It Is, Thundercat trimbale de radios en télés son improbable look funky et flashy, sorte d’hommage au leader de Funkadelic et de Parliament, George Clinton. Le bling déglingue. Tout un concept. Surtout avec un sac à l’effigie de Pikachu sur le dos.

Là encore, et comme le veut la mode des featurings à tout va, Thundercat a réuni une flopée d’invités californiens. Parmi eux, le batteur Louis Cole, musicien hors pair, étoile d’un jazz futuriste, avec lequel il partage l’amour des structures rythmiques rocambolesques, un goût des interludes hystériques et déstructurés : une certaine culture geek appliquée à la musique. Mais c’est aux côtés de Childish Gambino, de Steve Arrington (du groupe seventies Slave) et de Steve Lacy (de The Internet) que Thundercat distille le meilleur d’une funk à la sauce Bootsy Collins sur « Black Qualls ». Une des compositions les plus fortes de son nouveau répertoire, avec « Dragonball Durag » et ses racines là encore foncièrement A.O.R. Comme si, en 2020, la musique n’était décidément qu’une histoire de postmodernisme.

« It Is What It Is » de Thundercat (Brainfeeder), sortie le 3 avril

 

CALIFORNIA LOVE

Voilà un thème qui pourrait résumer ces derniers mois marqués par un incontestable retour aux années 1970, avec une myriade de disques replongeant dans l’océan pacifique de l’A.O.R., du soft-rock et consorts. Peu importe les étiquettes, tout n’est qu’une histoire d’insouciance, de légèreté et de douceur de vivre. Les acteurs de ce retour en grâce ? Aux côtés de Thundercat, ils semblent de plus en plus nombreux : le groupe Drugdealer avec ses singles « Fools » et « Lonely », le Néerlandais Benny Sings et son City Pop, le Brésilien Ed Motta, ou encore Young Gun Silver Fox, qui après AM Waves remet le couvert ce printemps avec l’excellent Canyons. Des disques qui utilisent souvent les mêmes procédés d’écriture : une section rythmique basse-batterie nonchalante et groovy, un mélange de guitares électriques et folk, des claviers funky, quelques soufflants, des mélodies sucrées et, point crucial, des harmonies vocales riches et spacieuses. La recette du succès. 

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