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Le cri de Scylla dans « John Wick, Parabellum »

  • Jérôme Momcilovic
  • 2019-11-26

Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Geste inattendu d’un acteur, couleur d’un décor, drapé d’une jupe sous l’effet du vent : chaque mois, de film en film, nous partons en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches où s’engouffre l’émotion du spectateur. Ce mois-ci : un cri, et des chiens, dans John Wick. Parabellum (Chad Stahelski, 2019).

Sofia crie et un chien sort de l’image. On ne comprend pas ce que dit le cri, c’est le nom du chien sûrement, mais c’est d’abord un cri de guerre, un aboiement aussi : le cri est le premier à mordre. Puis les chiens dévorent des hommes, par l’entrejambe où à la gorge, là où le cri les a guidés. Sofia crie et l’on comprend instantanément plusieurs choses. Que les bons films d’action nous manquent, et que les super-héros qui ont pris leur place ne nous consolent pas de leur absence, parce qu’un monde où l’on ne s’émerveille pas qu’un type vole dans les airs est un monde où il n’est plus permis de s’émerveiller de rien – eux-mêmes ont l’air las de tant de pouvoirs, qui devraient leur faire embrasser le monde et les font plutôt glisser, indifférents, dessus.

Tandis que l’on s’émerveille de Sofia, de son cri, et de ses chiens. Elle apparaît au milieu du troisième volet en date de John Wick, où l’on s’émerveille de presque tout. Sofia  Al-Azwar, que joue Halle Berry, est le double féminin et oriental de John Wick, que joue Keanu Reeves. Ils ont la même morale, qui commence avec les chiens (tuez leur chien et ils se vengent sans pouvoir s’arrêter). Ils doivent tuer pour faire leur chemin, et cela implique, pendant de longues minutes, de danser d’un plan à l’autre, pour esquiver un coup ou bien en donner un, pour faire parler la poudre ou éviter les balles, danser littéralement avec le film jusqu’à ce que les gestes et les plans ne forment plus qu’un seul et même ruban battu par l’énergie du montage. Le film d’action vise à ce qu’il n’y ait plus que ces ondes, où s’évanouissent l’un dans l’autre le corps et le décor : plus rien que de la vitesse, et le tournis du spectateur. John Wick y parvient de manière admirable, un peu seul aujourd’hui à continuer la belle histoire du mouvement qu’avaient racontée le burlesque et la comédie musicale, avant de la léguer au cinéma de genre hongkongais, dont il descend.

Comme dans la comédie musicale, on se passionne pour le lien quasi médiumnique qu’il y a entre le corps du personnage et son environnement : tout lui est prothèse, le monde entier le prolonge. C’est ce qui fait de Sofia un personnage si électrique et enivrant. Son cri et le mouvement des chiens, qu’il provoque (parfois il n’y a même pas de cri, et c’est alors par télépathie, sûrement, que les chiens s’élancent), sont une seule et même onde, du corps jusqu’aux crocs. Le cri n’appelle rien : il lui fait plutôt pousser des chiens dans le dos. Dans la mythologie grecque, Sofia a un autre nom : c’est Scylla. Ovide la décrit dans les Métamorphoses: «Scylla vient, et déjà elle était à moitié descendue dans l’onde, lorsqu’elle se voit entourée de monstres hurlants. D’abord elle ne croit pas qu’ils fassent partie de son corps: elle s’éloigne, fuit et craint leur rage écumante; mais, en fuyant, elle entraîne les monstres: elle cherche ses flancs, ses jambes, et ses pieds: partout à leur place elle ne trouve que des gueules de Cerbère, qu’une horrible ceinture de chiens aboyants sans parties inférieures, attachés par le dos autour de son corps.» C’est autre chose que Captain Marvel et Wonder Woman

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  • John Wick

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