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Catherine Frot chante faux, joue juste

  • Raphaëlle Simon
  • 2015-09-15

Marguerite marque votre retour au cinéma après trois ans d’absence. Comment êtes-vous arrivée sur le projet ?
J’ai confié à quelqu’un qui travaillait sur le dernier film de Xavier Giannoli, Superstar, qu’il était l’un des metteurs en scène avec qui j’aimerais vraiment travailler. Ça lui a été répété et, trois semaines plus tard, j’ai reçu le scénario de Marguerite. J’ai appris par la suite qu’il avait cette histoire dans ses tiroirs depuis une dizaine d’années. Le scénario m’a plu tout de suite, mais le film a mis un certain temps à se financer, presque deux ans et demi, donc je me suis préparée pendant tout ce temps, j’ai attendu le rôle. Un personnage comme ça, c’est de la grande dimension, c’est rare.

Qu’est ce qui vous plaisait dans le travail de Xavier Giannoli ?
Il y a une grande profondeur dans ses films, un vrai travail autour de la justesse et de la vérité, ce qui fait que l’émotion nous déborde, sans qu’on sache toujours d’où elle vient. Ses personnages sont extrêmement attachants, et profondément seuls, que ce soit François Cluzet dans À l’Origine, Gérard Depardieu dans Quand j’étais chanteur, ou Marguerite.

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Qu’est-ce qui vous a séduit chez Marguerite ?
D’abord l’absurdité de sa situation : chanter faux et ne pas s’en rendre compte. Et puis son inconscience, son innocence, sa fraîcheur d’esprit, et en même temps je trouve que c’est elle qui a raison sur le monde, même si elle est dingue. Elle a à la fois une force et une fragilité immenses. D’ailleurs, dans la dernière partie du film, elle touche à la folie.

Marguerite est librement inspiré de la vie de Florence Foster Jenkins, une chanteuse d’opéra américaine, morte en 1944, qui chantait terriblement faux. Connaissiez-vous son histoire ?
Non, pas du tout. Je ne suis pas très férue d’opéra. J’ai été très impressionnée quand j’ai entendu pour la première fois son enregistrement de l’« Air de la reine de la nuit » de Mozart sur Internet. Comment se fait-il qu’une telle poésie se dégage d’une chose si inécoutable ? Parce qu’elle a eu l’audace d’aller au bout. C’est un acte quasi artistique, un acte merveilleux. Quelle grandeur d’âme ! Et en même temps c’est navrant, c’est d’une tristesse épouvantable. Ce paradoxe est vraiment troublant. Pour me mettre dans le rôle, j’ai écouté cet enregistrement des centaines de fois, en boucle, pendant des semaines, en même temps que j’écoutais la Callas, « Casta Diva » notamment, qui à l’inverse est la perfection incarnée.

Comment avez-vous trouvé l’inimitable voix de Marguerite, qui chante « divinement faux »comme le disent cyniquement les critiques ?
Il y a eu tout un travail très technique pour obtenir cette voix : je chantais en play-back, une octave en dessous, car je ne pouvais pas chanter si haut, puis on enregistrait ma voix par-dessus, mais j’étais aussi en partie doublée par une jeune femme, amatrice d’opéra. Xavier a mélangé toutes ces voix au mixage, du coup on ne sait plus trop qui est qui. J’ai énormément travaillé les chansons avec une prof de chant, car il fallait que mon play-back soit impeccable : je les connaissais toutes par cœur, de « Voi che sapete » de Mozart à « Casta Diva » de Bellini… Pour trouver la juste voix du faux, nous avons organisé un casting très important. Ce n’était pas évident à trouver, certains faux étaient trop caricaturaux, d’autres trop ridicules… La chanteuse que nous avons choisie, qui chante très bien, avait un chanter-faux poétique, j’y ai cru, je l’ai reconnu. C’était important, pour moi, de le ressentir de l’intérieur, pour pouvoir le restituer en play-back.

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Marguerite fait tout pour attirer l’attention de son mari, qui la fuit et en a honte… En ce sens,Marguerite est aussi l’histoire d’un amour manqué, c’est une terrible tragédie.
Dans la première partie du film, avant qu’il ne commence à la regarder, son mari dit à sa maîtresse : « Ma femme est un monstre. » Parfois, dans la vie, on croise des gens incongrus comme ça, des dingos, qui peuvent avoir un côté monstrueux. Ce genre de personnes hyper enthousiasmantes, qui ont une générosité merveilleuse, qui laissent des traces, qui donnent des ailes. On en a dans le monde du cinéma : regardez Arletty, Michel Simon ; c’est fantastique, l’empreinte qu’ils laissent, ce sont des gens qui peuvent surdimensionner les choses. Marguerite, c’est pareil, elle surdimensionne les choses : elle est petite, elle est minable, elle chante comme une casserole, et pourtant elle y va, elle passe de rien-du-tout à héroïne. Pour moi, c’est une grande héroïne tragique et dérisoire, elle a la puissance d’une Phèdre, d’une Antigone. C’est une femme en quête d’une grande liberté, qui mourrait pour vivre comme elle le désire. On peut la voir comme une des premières féministes…

Xavier Giannoli est-il très directif sur le tournage ? Quelles indications vous a-t-il données pour le rôle de Marguerite ?
Il a été très présent, oui. Je me suis parfois sentie plus un modèle qu’une actrice entre ses mains, comme si j’étais une matière brute qu’il sculptait. Il savait très bien ce qu’il voulait, et j’ai eu envie de me laisser attraper par lui. Il me poussait vers des choses paradoxales. Vers ce qui est bien et ce qui est mal, ce qui est beau et ce qui est laid, ce qui est triste et ce qui est gai. Les contradictions des sentiments dans ce film sont exploitées de manière magistrale.

Selon vous, pourquoi vous a-t-il choisie pour incarner Marguerite ?
Je pense que certains des personnages que j’ai interprétés par le passé et qui m’ont rendue populaire ont à voir avec Marguerite : cette fragilité, cette solitude, cette innocence, qu’on peut retrouver chez Odette Toulemonde, chez la Yolande d’Un air de famille, chez Winnie dans Oh les beaux jours de Samuel Beckett, que j’ai joué pendant deux ans au théâtre.

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Qu’est-ce qui vous plaît chez ces personnages de grandes naïves ?
Ça fait un peu partie de moi, je me suis fait remarquer en partie par ça. Ce sont des personnages qui se font piétiner mais qu’on aime, des personnages à la fois poétiques et un peu effrayants, en ce qu’ils renvoient à quelque chose de tragique.

Vous avez obtenu le César du meilleur second rôle féminin en 1997 pour votre prestation mythique dans Un air de famille. Avez-vous le sentiment que ce personnage, qui vous a révélée au grand public, vous a enfermée dans cette case de « grande candide » ?
Non, car j’ai justement fait en sorte, derrière, de refuser les personnages très naïfs et drôles à leur insu. Presque deux ans se sont écoulés avant La Dilettante de Pascal Thomas. C’est un film qui a mis longtemps à se monter, mais je l’ai attendu, ce rôle, car il allait ailleurs. C’était un film drôle aussi, mais assez audacieux, différent de ce que j’avais pu faire auparavant. Mais j’ai adoré faire Un air de famille.Avant le film, on l’a joué au théâtre pendant un an. Il y avait de tels fous rires qu’on était obligés d’arrêter de jouer ! L’effet de Yolande sur le public, en direct, je ne peux pas l’oublier. Mais finalement j’ai joué des personnages assez différents : des personnages de pur foklore, comme dans les adaptations des romans d’Agatha Christie par Pascal Thomas, mais aussi des personnages beaucoup plus durs, comme dans Vipère au poing, le dernier film de Philippe de Broca, des rôles plus sombres, comme dans La Tourneuse de pages de Denis Dercourt ; maintenant je m’apprête à jouer dans une comédie farcesque au théâtre, Fleur de cactus… J’aime passer d’un univers à l’autre, je ne pourrais pas jouer le même personnage ad vitam aeternam. Ce que j’aime, ce sont les personnages forts, empreints d’une certaine dureté, ou au contraire d’une grande innocence. J’aime ce qui est expressif.

Quel souvenir gardez-vous de votre premier tournage pour le cinéma ?
C’était pour Mon oncle d’Amérique d’Alain Resnais. Je devais avoir 20 ans, j’avais les cheveux très longs… Je me souviens que Resnais avait énormément de temps pour tourner, on filmait une toute petite chose par jour. C’était mon tout premier rôle de cinéma, et après j’ai attendu longtemps avant d’y revenir, à 39 ans. J’ai fait du théâtre et de la télévision entre-temps. J’ai commencé le théâtre jeune, j’avais fondé une compagnie, on jouait au Off d’Avignon, c’était formidable. On était très peu payés, mais je gagnais ma vie à la télévision, c’était plus facile pour les jeunes comédiens à l’époque.

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L’un des cruels enseignements du film est que la passion et le travail ne font pas le talent.
Oui, malheureusement, il arrive que certaines personnes se donnent à corps perdu pour un résultat lamentable. C’est toute l’histoire du clown triste dans Le Cirque de Charlie Chaplin. Dans ce film, Charlot, poursuivi par un âne, entre sans le vouloir dans un cirque, fait dix fois le tour de la piste, et le public est mort de rire. Le lendemain, la salle est pleine, et on lance l’âne à ses trousses, à son insu. Mais au bout d’un moment, il comprend le système, et il devient nul. Plus tard, il passe des auditions comme clown, il se donne à fond, mais il est déplorable, parce qu’il se sait regardé. C’est à mourir de rire.

Vous avez pour le coup un vrai talent comique. Est-ce ce qui vous a poussé à vouloir devenir comédienne ?
Oui, je pense. Chez Peter Brook, à 24 ans, je faisais la servante avec Michel Piccoli dans La Cerisaie de Tchekhov. C’était déjà un personnage de fille complètement illuminée… Je voyais bien que je faisais rire, sans toujours le faire exprès – comme aujourd’hui d’ailleurs : parfois je pense que je vais faire rire et ça ne marche pas, et inversement… En ce sens, je pense que je suis un bon choix pour Marguerite.

On vous verra dans Fleur de cactus à partir du 25 septembre au Théâtre Antoine, aux côtés de Michel Fau, qui interprète votre professeur de chant dans Marguerite. Que vous apporte le théâtre que ne vous apporte pas le cinéma ?
La scène, la maîtrise et la responsabilité de son corps en entier, sans que personne n’aille en couper des bouts comme au cinéma.

Et à l’inverse, quel est pour vous le plus du cinéma ?
Le mythe de l’image, cette drôle de chose qui reste.

Marguerite
de Xavier Giannoli (2h07)
avec Catherine Frot, André Marcon…
sortie le 16 septembre

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