
Et sinon, quoi de neuf ? Pour cette rentrée, je propose qu’on arrête avec cette question. Parce qu’en matière de conversation, déjà, c’est l’équivalent de la bougie parfumée ou du coffret cadeau « atelier cuisine créative, libérez le cuistot qui est en vous » que l’on attrape à la va-vite dans un rayon quelques minutes avant une soirée d’anniversaire à laquelle on n’a pas envie d’aller. Effort minimum, rendement maximum. Et les voyelles beaucoup trop longues qui accompagnent l’ouverture dudit paquet (qui sera probablement recyclé lui aussi bien vite en cadeau de dernière minute) n’ont d’égales, dans la vie, que cette profonde inspiration que l’on prend juste avant de répondre à ce fameux « et sinon, toi, quoi de neuf ? ». Alors dans les deux cas on fait semblant. « Oh merci, fallait pas » (non, vraiment fallait pas). « Écoute, tout roule » (surtout moi, en boule).
J’envie les gens qui ont toujours du neuf, du nouveau, de l’exaltant à raconter. Sûrement des gens à qui on n’offre pas des bougies parfumées et qui troquent le cours de cuisine contre un saut en parachute. Ces gens qui sans cesse sortent de leur fameuse « zone de confort ». Personnellement, si on pouvait m’indiquer où se trouve la mienne, je ne serais pas contre au moins la visiter. Sa zone de confort, le héros de Libre Échange n’a, lui, clairement pas envie de la bousculer. Un bonheur naïf que cette comédie inspirée va faire éclater au bout de quelques minutes. Largué par une épouse qu’il croyait heureuse, Carey débarque chez son meilleur ami, dont le couple semble merveilleux. Leur secret ? L’amour libre.
À partir de là, Kyle Marvin et Michael Angelo Covino (déjà à l’écran et derrière le génial The Climb) inventent un joyeux bordel qui s’amuse de nos contradictions et de nos tentatives d’être cool et modernes en toute circonstance. Bienvenue dans la zone d’inconfort. L’histoire de gens sans histoires qui se créent des histoires de peur de n’avoir rien à se dire. Et s’il n’y avait pas plus bourgeois que de vouloir constamment mettre en péril son équilibre ?
Si la condamnation est facile, elle n’épargne personne, surtout pas le spectateur. Car, à l’inverse de ces pénibles comédies du malaise qui nous font regarder de haut des gens se noyer dans leurs erreurs, Libre Échange privilégie une comédie de l’inconfort. Un ton qui n’appartient qu’à ses deux auteurs, un sens du rythme, du ridicule et du tragique qui provoque un rire franc qui pique comme une étiquette qui démange, étouffe comme un jean un poil trop serré qu’on a voulu quand même enfiler pour ne pas voir la vérité en face, et libère comme un fou rire à un enterrement.
Parce que ces personnages qui ont peur de l’ennui et doivent ensuite faire avec les dégâts que causent leurs désirs nous ressemblent. Ils ont beau avoir l’air fous, à se taper dessus et se courir après comme dans les cartoons, à se dire des horreurs et s’en vouloir ensuite, à n’être jamais à la hauteur et pourtant se croire tout à fait pertinents, on les comprend. Et ce que ça dit de nous, les vertiges que ça suppose, vaut bien, croyez-moi, tous les sauts en parachute du monde. La preuve, s’il en fallait encore une, qu’au fond on n’a rien fait de mieux que le cinéma pour sortir de sa zone de confort. Et tout ça en restant bien assis.
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