Roi de la série B horrifique à la fin des années 1950, l’Américain William Castle était prêt à tout pour terrifier son public. Portrait d’un cinéaste forain, roi du gimmick, plus à l’aise avec le marketing qu’avec la mise en scène.
Avec ses oreilles décollées, ses cheveux grisonnants et son sourire bonhomme, William Castle a tout du grand-père idéal. Sauf que dans ses films, les femmes trompées découpent des têtes à la hache, les maris jaloux sont des meurtriers sadiques et les infirmières trucident à tour de bras. Rien ne prédisposait cet honnête artisan de Hollywood, né à New York en 1914, à devenir un réalisateur culte de films d’horreur. Dans les années 1940-1950, il réalise des films de seconde zone pour la Columbia – westerns sans budget, films policiers sans star, comédies animalières pour enfants – vite oubliés. Pourtant, Castle rêve de grandeur. Il veut suivre les traces d’Orson Welles, qu’il côtoie, et dont il cherche à imiter l’emphase et l’auto-mise en scène. Mais difficile d’être un auteur quand on est cantonné à filmer les aventures de Rusty le chien.
Un soir de pluie, à la fin des années 1950, Castle aperçoit une foule qui se presse pour voir Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot. Il est fasciné par le film et par les réactions du public – quand le cadavre de Paul Meurisse se lève d’entre les morts, la salle hurle de terreur. C’est exactement ce dont rêve le réalisateur. Il hypothèque ses biens et se lance dans la production d’un film d’horreur au titre imprononçable pour les Américains : Macabre (1958).
Mais le projet ne rencontre pas le succès escompté. Certes, cette histoire de jeune fille enterrée vivante est sordide à souhait, mais rien qui ne fasse « mourir de peur ». La formule fait mouche dans la bouche de Castle, qui décide illico que Macabre sera le premier film durant lequel le public est assuré contre la mort : mille dollars pour celui qui s’éteindrait durant la projection ! L’effet est immédiat et le public afflue. Le petit frisson qu’un drame survienne pendant la séance attise la curiosité, et Castle en rajoute en déployant un impressionnant sens du spectacle et du marketing. Arrivée en corbillard du réalisateur, décor morbide à l’entrée de la salle, fausses infirmières qui auscultent les spectateurs, Macabre devient un gigantesque happening horrifique. Lors de négociations ubuesques avec la compagnie d’assurance, le réalisateur avait esti- mé à cinq le nombre potentiel de décès. Personne n’est mort durant les projections de Macabre, mais le système Castel était né.
williaM, Fais Moi Peur !
À grand renfort de campagne promotionnelle, le réalisateur vend dès lors chacun de ses films comme une expérience unique, sous couvert d’inventions technologiques révolutionnaires. Ainsi le procédé Emergo!, censé faire sortir les objets de l’écran, se résume à un squelette caché dans la salle qui surprend le public au moment opportun. Le Percepto! est lui plus vicieux – l’immersion dans le film se fait à coup de décharges électriques (légères) dans les fauteuils. L’Illusion-o! permet aux spectateurs munis de lunettes spéciales de voir apparaître des fantômes à l’écran.
Les récits sont toujours plus ou moins basés sur la même machination vénale, la mise en scène est peu inventive, mais les gimmicks inventés par Castle fonctionnent à plein. Au croisement du spectacle et de la fête foraine, son « ciném’attraction » ramène le public dans les salles, au moment où la télévision commence à inquiéter Hollywood.
Puis arrive le Psychose d’Alfred Hitchcock (1960), qui s’y connaît lui aussi en termes de marketing. Ce film, vendu sur le voyeurisme et le sensationnel, c’est la série B entre les mains du roi du divertissement de luxe. Le public est au rendez-vous, et Castle sort de la projection effondré : comment surpasser le génie horrifique de Psychose? Évidemment c’est impossible, et il se lance plus ou moins consciemment dans des remakes tordus des films du maître britannique.
Celui que l’on surnommera le Hitchcock du pauvre rejoue la folie meurtrière et le travestissement de Psychose en mode queer avec Homicidal (1961). Hitchcock avait interdit à ses spectateurs d’entrer dans la salle au bout d’un certain temps pour préserver le suspense ? Castle prend le contre-pied et propose à son public de sortir avant la tuerie finale et de se faire rembourser. Il sait bien que l’envie de voir sera plus forte que tout. Mais le jour de la première, il assiste médusé à un exode massif : malin, son public avait patienté dans la salle jusqu’à la deuxième séance pour se faire rembourser la première. Hilare, Castle décide de prendre le spectateur à son propre jeu et instaure «la caisse des lâches ». Quiconque sortira de Homicidal avant la fin devra signer un certificat de lâcheté pour se faire rembourser.
Avec l’arrivée du Nouvel Hollywood et de son réalisme brutal, le public se détourne des films d’horreur inoffensifs de Castle. En produisant Rosemary’s Baby de Roman Polanski en 1968 (dans lequel il fait un caméo), il cherche à se trouver une place. Mais les règles ont changé, le sensationnel est ailleurs et l’époque ne veut plus de ce cinéma de saltimbanque. Après plusieurs échecs, William Castle meurt subitement en 1977. Il faudra attendre la fin des années 1980 et l’hommage sincère que lui rendront des réalisateurs comme Joe Dante ou John Landis pour que l’on redécouvre l’œuvre d’un cinéaste qui aura su transformer la salle de cinéma en véritable salle de spectacle.