Hologrammes de vedettes décédées, personnages entièrement créés numériquement, deepfakes… à mesure que la technologie progresse, les acteurs semblent de moins en moins sacralisés – ou est-ce le contraire?
Terry Notary, Andy Serkis : ces acteurs sont des superstars du cinéma hollywoodien ; et pourtant, leur visage est pour ainsi dire inconnu du public. C’est qu’ils ont interprété leurs plus grands rôles en capture de mouvements, prêtant leur gestuelle et leurs expressions faciales à des créatures façonnées numériquement : le chimpanzé Rocket dans les trois volets de La Planète des singes ou King Kong dans Kong. Skull Island pour le premier ; Gollum dans la trilogie du Seigneur des anneaux ou encore le capitaine Haddock dans le Tintin de Steven Spielberg pour le second.
Ces idoles de l’ombre le montrent bien : au contact des progrès technologiques, le statut des stars est en train de changer. Jusqu’où ? On peut aujourd’hui facilement rajeunir ou vieillir numériquement le visage d’un acteur, et même le ressusciter, à l’image des hologrammes et doubles numériques d’acteurs décédés – Marylin Monroe et Elvis Presley dans Blade Runner 2049, Peter Cushing dans Rogue One, et bientôt James Dean, ressuscité (avec l’accord de sa famille) à partir d’image d’archives dans un film prévu pour 2020, Finding Jack.
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Les stars sont mortes, vive les stars ? Pour le sociologue Gabriel Sergé, « les nouvelles technologies prolongent les techniques plus traditionnelles de construction de la postérité, comme les écrits biographiques, les rétrospectives, les expositions. Elles contribuent ainsi à la sacralisation de la vedette. » Ce qui se joue ici, c’est aussi le fantasme d’éternité du cinéma, qui depuis ses débuts fige (vole ?) le visage des acteurs. Et après ? On peut supposer que la tendance va se poursuivre, on peut aussi parier sur l’émergence de stars du cinéma entièrement virtuelles – une récente étude menée par HypeAuditor a révélé que les influenceurs virtuels d’Instagram (comme lilmiquela et son 1,8 million d’abonnés) suscitent beaucoup plus d’engagement que leurs homologues de chair et de sang, particulièrement auprès des 18-24 ans.
On peut aussi supposer que les technologies vont continuer à se démocratiser, comme en témoigne le succès de l’application chinoise Zao, lancée en août 2019, qui permet de « coller » le visage d’un acteur sur le sien (et inversement) selon la technique du deepfake, avec un réalisme troublant – voir la vidéo fascinante du youtubeur Ctrl Shift Face qui remplace le visage de Robert De Niro par celui d’Al Pacino dans Taxi Driver.
Pour Gabriel Sergé, « le deepfake ne me paraît pas annoncer le déclin des stars. Je pense qu’il conduit surtout à se méfier plus encore des images, celles-ci pouvant faire l’objet de manipulations qu’on ne peut plus déceler à l’œil nu. Cette défiance n’est pas nouvelle, mais elle ne fait que croître. » Plus que de la disparition des stars, qui devraient continuer de se démultiplier et d’étendre leur influence, c’est peut-être de cette défiance du public à l’égard des images dont il faudra à l’avenir se préoccuper.
Illustration : @The_Real_Theory