
Un écolier cherche la maison d’un camarade pour lui rendre un cahier… L’ode réaliste à la pureté de l’enfance qui fit connaître le cinéaste iranien à l’international est à revoir ce soir sur Arte.
C’est le film qui a tout déclenché : l’apparition d’Abbas Kiarostami sur les radars de la critique occidentale, le surgissement d’une voie spécifiquement iranienne pour le Néoréalisme, et la découverte des paysages du village de Koker, avant qu’ils ne soient dévastés par un tremblement de terre et ne deviennent le cœur de deux autres films du cinéaste (Et la vie continue, Au travers des oliviers), formant un tryptique passé à la postérité. C’est aussi le plus pur, nouant d’un geste calligraphique la rugosité du réel et la densité de la parabole. Ahmad, un petit garçon (Babak Ahmadpour, inoubliable visage de l’innocence), part à la recherche de son ami Nematzadeh pour lui rendre son cahier – et lui éviter ainsi d’être renvoyé de l’école.
Sur son chemin, il se heurte au silence des adultes, à leurs préoccupations impénétrables, à leurs exigences contradictoires, jusqu’à ce que la nuit tombe sur le labyrinthe des ruelles et qu’un vieillard ne lui vienne enfin en aide. C’est l’instant où le réalisme cède la place à la fable, dans un décor réinventé par les peurs d’enfant : les ombres dansent sur le pavé, les bourrasques agacent les animaux et font tinter des clochettes invisibles, les contours des fenêtres sont projetés sur les murs tels des tableaux cabalistiques.
À mesure qu’ils cheminent ensemble dans la pénombre se noue un dialogue lancinant entre la mort (le vieil homme, lente silhouette nostalgique, qui refuse une pomme car il n’a plus de dents) et la vie (Ahmad, qui lui demande de presser le pas, tout en comprenant qu’il n’en est pas capable). À mi-parcours, un plan fixe découpé entre deux murs : dans la lumière, la vie patiente ; dans le noir, la mort cueille une fleur et la lui tend. « Mets-la dans ton cahier. Ne la perds pas, surtout. » Ahmad contemple la fleur un instant puis la glisse entre deux pages. « On peut y aller, monsieur ? Il est tard. » « Bien sûr, on y va. On y est presque. » Puis ils disparaissent par la droite du cadre. La transmission a eu lieu, l’initiation touche à sa fin… Et la vie continue.
Où est la maison de mon ami ? d’Abbas Kiarostami, à revoir sur Arte le 27 juillet à 22h50