Depuis le ciel, on distingue un relief délavé par une matière de pixels aux tons grisâtres. Un viseur traque les lucioles qui s’agitent en contrebas. On nous dit que celui qui filme est aussi celui qui tue ; ces filmeurs de l’invisible sont en fait des soldats en mission quand ces silhouettes translucides sont celles de potentiels ennemis, qu’il s’agit d’identifier. Les premiers ont une surpuissante caméra infrarouge en guise d’œil, les seconds sont plongés dans la nuit et ignorent qu’on les observe. C’est de ce dispositif asymétrique que les images témoignent ; un dispositif ultra pictural qui, in fine, tord le réel jusqu’à l’abstraction.
Nous sommes pourtant en guerre : les missiles fusent et les corps tombent mais, ici, leur sang n’est qu’une traînée de poudre blanche. Il s’agit moins de tuer des hommes que d’écraser des insectes, un tel arsenal technologique annihilant tout rapport de force. Pour tenter de rétablir un équilibre, le projet du film consiste en l’intervention d’autres regards : celui de la cinéaste, figuré par une voix off, et bien sûr le nôtre.
Équilibre qui, s’il est rendu impossible par l’absence de contrechamp aux images, tâche de briser l’illusion de neutralité qu’elles produisent et ce qui s’y joue encore de faillibilité humaine, de doutes et de pulsions.
L’image elle-même, à force de sophistication, semble d’ailleurs provoquer ces pulsions chez des soldats soumis à sa toute-puissance, voire à son troublant pouvoir de fascination… Pouvoir qui dicte à la perfection le programme de nos guerres modernes, qui n’est pas si loin de celui du cinéma et qui tient en trois mots : sublimer l’horreur.
3 QUESTIONS À ÉLÉONORE WEBER
Pourquoi ce titre prophétique ?
Peut-être pour contredire la folle ambition de ces caméras, qui voudraient se mesurer à la puissance divine. Car en réalité le film montre qu’il est impossible de supprimer la nuit et que le fantasme de tout voir sera toujours mis en échec.
D’où proviennent ces images ?
Elles ont toutes été mises en ligne par des soldats fiers de leur mission. Si j’avais utilisé des images confidentielles, la question éthique liée à leur diffusion aurait été différente. Or, ce qui m’intéressait ici, c’est précisément que ces images étaient déjà mises en spectacle. J’ai voulu qu’on regarde et autrement ce spectacle.
Que dit le film de la situation militaire de nos pays ?
La manière dont on fait la guerre finit toujours par contaminer la vie civile. Selon moi, l’exercice de la guerre est un laboratoire de l’exercice du pouvoir tout court. Et c’est notre propre devenir de silhouettes fantomatiques dans l’œil du puissant que nous regardons dans ces images…
: Il n’y aura plus de nuit d’Éléonore Weber, UFO (1 h 15), sortie le 16 juin
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