
Mothers and Monsters de Edith Jorisch (prix de la meilleure réalisatrice)
Qu’est-ce qui se cache derrière l’image de la mère parfaite ? La talentueuse Montréalaise Édith Jorisch explore cette question dans son œuvre très créative Mothers and Monsters, en mettant en scène un groupe de mères bourgeoises réunies lors d’un dîner, parées de perles et de gants raffinés, figées dans des poses instagrammables. Aucune d’elle ne parle, elles communiquent avec une gestuelle caricaturale minutieusement chorégraphiée, très satirique. Des mets étranges défilent dans leurs bouches, tels qu’un dessert en forme de sein, tandis que leurs enfants sont nourris par un cordon ombilical relié à un écran – comme un écho à eXistenZ de David Cronenberg.
Parmi les influences de la réalisatrice : le surréalisme social de Mika Rottenberg, qui joue avec les espaces, et l’art de Patricia Piccinni, dont les sculptures d’hybrides humains oscillent entre beauté et laideur. Le film nous entraîne dans des sous-sols, symbolisant l’intérieur du corps humain, révélant des vérités toujours plus troublantes : des travailleurs exploités trient les restes du banquet, d’autres fabriquent des bébés en série. Mention spéciale au clin d’œil à La Fée aux chouxd’Alice Guy, première fiction du cinéma, toutes deux détournant brillamment l’adage selon lequel « les bébés naissent dans les choux ».
Favours de Agnès Skonare (prix du pass Culture et prix de la meilleure actrice)
Les bébés ne sortent pas des choux et ils pleurent – un don du ciel peut donc aussi sonner pour certaines comme un fardeau. Dans une gare, Sonja (Garance Marillier), une jeune femme chargée d’un bébé qu’elle affirme avoir trouvé, abandonné par une mère mystérieusement disparue, cherche désespérément de l’aide – mouvement qu’un lent zoom accentue. Le dernier court-métrage d’Agnès Skonare, réalisatrice suédoise installée à Los Angeles, happe le spectateur par une mise en scène nerveuse et rythmée, ainsi que par une simplicité qui, on le pressent, est trompeuse. L’image, d’un grain vif, captée par le directeur de la photographie Emil Klang (Bergman, une année dans une vie), est toute de teintes bleutées, à la fois douces et froides – déjà présentes dans Berry Pickers et Open Door, les premiers courts de Skonare. Le film plonge dans le tumulte d’une gare où les passants se croisent et attendent, et créé un huis clos saisissant, véritable labyrinthe psychologique.
Dammi de Yann Mounir Demange
Ce court-métrage quasi autobiographique éblouit par son style expérimental. Le récit explore l’identité fragmentée d’un homme en quête de ses racines, interprété par Riz Ahmed, que l’on a vu dans Les Frères Sisters et Sound of Metal. Le réalisateur explore la nature mouvante de la mémoire dans un parcours qui ressemble à une performance d’art contemporain, faisant de Paris un véritable musée à ciel ouvert. Le personnage erre dans les rues, partagé entre Paris qu’il a quitté tout jeune avec sa mère, Londres où il a grandi, et une Alger inconnue. Presque fantôme, il avance dans des magnifiques plans de brouillards qui rappellent les compositions minimalistes de Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve.
« Je suis une imposture », dit-il, parmi d’autres confessions poignantes, à celle dont il est tombé amoureux (Souheila Yacoub). Elle lui fait visiter la capitale, et l’amène jusque dans un cabaret où Isabelle Adjani surgit sur scène dans une atmosphère onirique à la lumière bleue, se livrant à une chorégraphie hypnotique entourée de danseuses. On est transporté par cette exploration sensible de l’identité qui traverse Dammi.
Karatéka de Florence Fauquet
Dans Karatéka, Florence Fauquet, formée à Kourtrajmé et au Cours Florent, s’affirme comme réalisatrice et actrice. Elle n’en est pas à son premier coup puisqu’elle a déjà co-réalisé avec Marie Petiot R.I.P Madame Joseph, une comédie morbide dans laquelle, deux employées de mairie accomplissent le rêve d’une morte, dans un décor funéraire en couleurs. Ici, elle incarne Gabrielle, une jeune sportive prête à disputer une finale de karaté acharnée contre Alix, interprétée par Jisca Kalvanda (Divines, L’Ordre des médecins). En plein duel, Gabrielle découvre qu’elle a ses règles… Dans ce court métrage audacieux, Florence Fauquet fait voler en éclats les tabous, à commencer par celui des règles – on pense à un mouvement de caméra : une plongée dans des toilettes pleines de sang.
Plein d’intensité, le récit met en scène la compétitivité de deux héroïnes. Loin de s’en tenir à cet aspect viriliste et à la règle du « chacune pour soi », le film montre comment ces jeunes femmes, en parvenant à conquérir cet espace du sport (qui leur est encore trop souvent fermé), en font aussi un espace de sororité.