Comment un historien en vient-il à travailler pour le cinéma ?
Par une série de coïncidences ! Surtout, j’ai toujours adoré le cinéma. Beaucoup de mes confrères observent ce travail de consultant avec beaucoup de dédain. Je trouve ça stupide : notre interaction avec le passé se fait, pour la plupart d’entre nous, à travers la fiction plutôt que par les livres d’histoire.
Avant, les gens découvraient le passé à travers des peintures, des gravures ou des bas-reliefs comme ceux que l’on peut admirer sur la colonne Vendôme. Et les artistes ont toujours pris des distances avec la réalité historique. Les peintures de Jacques-Louis David qui dépeignent la Rome antique sont remplies d’erreurs. Dans la pièce Jules César, William Shakespeare nous a fait croire que l’empereur avait été assassiné sur les marches du Sénat, ce qui est faux.
Cela dit, je trouve dommage que la fiction prenne autant de libertés avec les faits. L’histoire est suffisamment fascinante en elle-même. Je suis ainsi très fier de mon travail sur la série Rome qui est, à ma connaissance, l’œuvre de fiction la plus respectueuse de nos connaissances de la Rome antique.
Quelles sont les erreurs historiques les plus courantes dans les films ?
Le salut romain, déjà : on se saluait en levant la main droite. Mais les nazis se sont réappropriés ce geste, et les cinéastes rechignent à l’utiliser. De la même façon, personne ne levait le pouce ou l’abaissait pour signaler à un gladiateur d’achever ou pas son opposant : c’est une invention d’un film muet des années 1920. Enfin, les soldats portaient toujours leur épée sur la droite, non sur la gauche, parce qu’il leur aurait été trop difficile de dégainer tout en portant leur bouclier.
Quel a été votre travail sur Gladiator II ?
Par exemple, je les ai incités à utiliser les vrais mots latins pour les grades militaires, au lieu d’employer des termes empruntés au français, ce qui est là encore une vieille erreur du cinéma. J’ai relu quatre fois le scénario pour leur donner mes notes, mais j’ai bien vu qu’ils ne tenaient pas beaucoup compte de mes remarques. Je dis souvent que mon vrai travail, c’est qu’on me paie pour m’ignorer. Mais ce n’est pas si grave : les films ouvrent les gens à l’histoire. Avant que le premier Gladiator ne sorte en salles, peu de touristes allaient voir le Colisée à Rome. Aujourd’hui, c’est un des monuments les plus visités d’Italie. Le film de Ridley Scott lui a redonné vie. Si le respect de l’histoire est discutable, la connexion émotionnelle, elle, est authentique.
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FICHE MÉTIER
Un conseiller historique (ou consultant ou chercheur) s’assure qu’un film respecte la réalité historique, en lisant le scénario ou en donnant des indications aux comédiens. Il peut aussi fournir des visuels ou des textes aux chef-décorateurs, au directeur de la photographie ou aux costumiers.
Gladiator II de Ridley Scott, Paramount Pictures (2 h 30), sortie le 13 novembre