
On ne serrait plus la main de n’importe qui. La transmission de pensées par le toucher avait transformé les rapports humains. Une simple apposition des paumes permettait de partager avec autrui ses opinions, ses envies et ses souvenirs. Nous étions devenus économes de nos gestes, y compris les récalcitrants non encore dotés de l’implant indispensable aux transferts. Économes de nos gestes et de notre argent : plus besoin d’aller au cinéma en famille. Il suffisait qu’un seul se dévoue. Après la séance, l’émissaire formait une ronde avec les siens, et ces derniers, en un clin d’œil, avaient le souvenir de n’avoir rien manqué d’un spectacle auquel ils n’avaient pourtant pas assisté. Il ne fallait pas attendre, par contre, afin de ne pas courir le risque d’avoir une vision du film déformée par la subjectivité du spectateur-transmetteur. Des attroupements se formaient donc à la sortie des projections. Les cercles se faisaient et se défaisaient. Certains spectateurs monnayant ce service, à un prix inférieur à celui d’une place de cinéma. Pour lutter contre ce nouveau piratage, les studios avaient trouvé une solution radicale : poster des snipers sur les toits des cinémas, chargés de tirer à vue sur les personnes se tenant la main. Il y eut bien des dommages collatéraux, occasionnés par des amoureux enlacés qui ne manquaient jamais de passer par là, mais ceux-ci pesaient bien peu au regard des indiscutables bienfaits de cette méthode.
Illustration : Playground Paris