
Dans le titre The History of Sound et dans l’idée de personnages qui partent collecter des chansons oubliées, on sent une volonté d’embrasser un monde et une totalité.
Oui, j’ai adoré le fait que cette histoire [adaptée d’une nouvelle de Ben Shattuck, ndlr] donnait la possibilité de voir ce qu’était la vie il y a un siècle. La relation entre ces deux hommes qui se rencontrent en 1917 puis se retrouvent en 1920 croisait ainsi le moment où le son est devenu quelque chose qui ne se situe plus seulement dans notre mémoire et notre passé mais qui constitue une réalité dans le monde physique. Cela change forcément l’expérience humaine : une fois que vous pouvez entendre le son de la voix de vos parents décédés ou conserver d’autres moments d’émotion, votre rapport au monde évolue. L’existence de Lionel [joué par Paul Mescal, ndlr] devient dans le film une grande métaphore de l’idée d’amour et de comment nous décidons de nous souvenir de nos sentiments, quels moyens techniques nous employons pour nous les remémorer. La voix entendue d’une personne peut faire revenir le souvenir de son sourire et de son visage. Le son est un très puissant outil que nous tenons aujourd’hui pour acquis, mais cela n’a pas toujours été le cas.
Cette histoire d’amour entre Lionel et David est racontée avec beaucoup d’ellipses temporelles et les moments où l’on voit les deux personnages ensemble restent très doux et apaisés.
Cela représente tout un travail technique de s’autoriser à faire des bonds temporels dans une narration. J’adore voir au cinéma des films où il y a des sauts radicaux dans le temps car c’est comme si cela réinitialisait le public et les personnages et que cela remettait les compteurs à zéro. Cette histoire crée une certaine distance avant que vous ne réalisiez à la fin que vous avez vu Lionel évoluer et se mouvoir à travers l’espace et le temps et que c’est là que se situait le centre émotionnel. J’adore depuis toujours cette sensation de pouvoir explorer en seulement deux heures toute l’étendue d’une vie.
Le casting pour interpréter ce duo, Paul Mescal et Josh O’Connor, amène une dimension moderne et contemporaine. C’est ce que vous recherchiez avec ces acteurs ?
Je pense que plus vous travaillez comme metteur en scène, que ce soit au théâtre ou au cinéma, plus vous réalisez que construire des liens avec des comédiens que vous admirez pour leur capacité d’empathie va être essentiel à la réussite de l’œuvre. Avec Paul et Josh, il y a quelque chose de vraiment organique qui fait qu’ils se connectent aux gens et qu’il n’y a rien de forcé. Quand j’ai rencontré Paul Mescal pour ce projet, il y a déjà cinq ans, il avait juste fait la série Normal People et n’avait pas encore tourné de film. Il est entretemps devenu incroyablement célèbre mais cela n’a rien changé à son attachement au projet et à la qualité de notre interaction initiale. Et quand Josh O’Connor a rejoint cette aventure, leur duo a fonctionné d’emblée, ils étaient l’identité de cette histoire. Le premier film de Josh que j’ai vu était Seule la terre en 2017 et il m’avait beaucoup ému. Paul et Josh sont aujourd’hui devenus des acteurs iconiques, je suis impressionné par les choix pleins d’audace et les goûts cinématographiques incroyables qu’ils manifestent. Et je suis heureux avec ce film de faire partie de leur parcours et de leur filmographie.
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Considérez-vous votre film comme particulièrement politique ? Par exemple par sa manière de représenter une romance gay dans l’Amérique des années 1920 comme une histoire allant de soi ?
Le film aborde clairement beaucoup de thèmes. Ce sont en partie des questions politiques intimes, introspectives, réflexives, sur comment on se perçoit soi-même et comment le monde vous renvoie un miroir de vous-même. La lutte pour la libération est toujours importante et cette histoire montre qu’il y a toujours eu des romances queer, ce qui peut par exemple aider un jeune public à se représenter sa propre vie dans toute une globalité historique. De mon côté, venant d’Afrique du Sud, je connais très bien les questions de discrimination raciale et je me suis demandé, quand on a développé le scénario avec l’auteur de la nouvelle Ben Shattuck, à quel niveau on pouvait intégrer un contexte racial dans cette histoire d’enregistrement de musiques dans la région du Maine, aux États-Unis, dans les années 1920. Et on s’est rendu compte que l’histoire épique mais inconnue de l’éviction de l’île de Malaga pouvait avoir du sens. David et Lionel passent ainsi à un moment sur l’île de Malaga, dans le Maine, dont une communauté multiraciale s’est faite expulser au début du vingtième siècle. Les rencontres qu’ils font sur place rejoignent aussi l’histoire universelle de la musique, où les chansons sont façonnées par le vécu plus ou moins tragique des personnes qui les chantent. Je suppose qu’il y a toujours une dimension politique dans ce que je fais et c’était assez naturel pour moi de rendre compte dans ce film de cette réalité-là.
À la fin du film apparaît l’acteur Chris Cooper, qui incarne le personnage de Lionel âgé. Pourquoi ce choix ?
Je me suis dit que quelqu’un d’aussi fantastique que Chris Cooper serait parfait pour ce segment et pour le type d’émotion que je recherchais. Et quand j’ai commencé à discuter avec lui, il m’a dit que sa performance d’acteur préférée de l’année précédente était celle de Bill Nighy dans mon propre film Vivre [sorti en 2022, ndlr]. C’était un vrai soulagement pour moi de savoir qu’il était du coup partant. Et Chris s’est révélé sur le tournage encore plus extraordinaire que ce que je pensais, dans son approche artistique et mentale du rôle. Comme j’ai grandi dans les années 1990 [Oliver Hermanus est né en 1983, ndlr], American Beauty de Sam Mendes est le premier film avec Chris Cooper qui me vienne en tête. Et je l’adore aussi dans Adaptation de Spike Jonze.
Qu’avez-vous finalement appris de vous-même à travers la réalisation de The History of Sound ?
Il y a toujours deux cheminements dans la vie d’un cinéaste. Il y a la voie professionnelle que vous empruntez en tant que réalisateur et il y a aussi le désir simple de la jeune personne que vous étiez de juste prendre une caméra car vous êtes fasciné par l’impact qu’ont les films. Donc vous poursuivez quelque chose de spontané qui va au final prendre plusieurs années concrètes de votre vie. J’ai regardé l’autre jour dans mon téléphone toutes les photos que j’ai de ce projet dont le début remonte à cinq ans. Et j’y vois ma propre vie à travers le prisme de The History of Sound.
Je revois des moments datant d’il y a 4 ans où Paul et moi traînions dans Londres en discutant de ce film. C’est devenu mon histoire et une partie de ma vie personnelle. J’ai passé tellement de temps à réfléchir à ce long métrage et à prendre des décisions à son sujet. Il y a eu des moments joyeux et des moments tristes : je me souviens du jour où j’ai appelé l’équipe, et notamment Paul qui était alors en Australie, pour leur dire que le tournage ne pourrait pas avoir lieu à cause du Covid. Paul était vraiment dévasté et bouleversé. Ce fut un si long voyage, entre le moment où j’ai lu la nouvelle par hasard dans un avion jusqu’à ce moment où je suis aujourd’hui assis en face de vous à Cannes.
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