CANNES 2025 · « L’Inconnu de la grande arche » de Stéphane Demoustier : archi singulier

Revenant sur la construction dans les années 1980 de la Grande Arche de la Défense, Stéphane Demoustier dresse le touchant portrait d’un architecte danois idéaliste et de rêves artistiques qui furent ensevelis sous le libéralisme triomphant.


linconnu
"L'inconnu de la grande arche" (c) Agate Films

Adapté de faits réels décrits dans le livre de Laurence Cossé, La Grande Arche (paru en 2016), le nouveau film de Stéphane Demoustier (La Fille au bracelet, Borgo) s’ouvre par une représentation concrète du pouvoir politique français du début des années 1980 : François Mitterrand (joué avec truculence par Michel Fau), président de la République fraîchement élu, découvre le nom du vainqueur du concours international d’architecture lancé pour le colossal chantier de construction de l’Arche de la Défense.

Otto von Spreckelsen, architecte danois de 53 ans inconnu des services présidentiels, est l’heureux gagnant et le film va narrer avec sveltesse et élégance la mise en place de cet audacieux projet esthétique qui coïncide avec l’optimisme de la puissance publique de l’époque. Une petite troupe, formée d’Otto von Spreckelsen (Claes Bang), de son épouse Liv (Sidse Babett Knudsen), d’un jeune conseiller mitterrandien (Xavier Dolan) et de l’architecte français Paul Andreu (Swann Arlaud), se constitue pour rendre possible ce rêve architectural et tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Mais les ambitions d’Otto vont progressivement être revues à la baisse et sa vision artistique sera freinée par des considérations tour à tour logistiques et politiques : la volonté de rentabilité financière qui commence à entourer le quartier de la Défense puis l’arrivée au gouvernement en 1986 du RPR – et des plans d’austérité du ministre délégué au budget Alain Juppé – viennent percuter le projet.

Avec sa mise en scène précise qui offre un point de vue original sur la France des années 1980 (vue depuis les yeux d’un architecte danois), Demoustier ajoute à son habituelle densité narrative une saisissante rage tragique en accentuant la déception et l’amertume qui finissent par consumer le cœur romantique d’Otto.

Donnant à voir une troupe de personnages dont les liens volent en éclats face au libéralisme triomphant, ce film centré sur l’architecture pourrait évoquer une version française de The Brutalist (on aperçoit ici les mêmes carrières de marbre de Carrare, en Italie) mais cette histoire porte en elle une émotion toute personnelle, qui se manifeste par exemple dans la séquence où Otto joue le prélude de Jean-Sébastien Bach déjà entendu dans le Solaris d’Andreï Tarkovski. Une suspension hors du temps où la beauté de la création artistique paraît éternelle, avant que la bulle enchantée n’explose brutalement.

Retrouvez tous nos articles sur le 78e Festival de Cannes, qui se tient du 13 au 24 mai.