
Réputé pour son humour incisif qui a fait les beaux jours du Jamel Comedy Club, Thomas Ngijol avait jusqu’ici réalisé trois comédies aux tonalités différentes (Case départ, Fastlife et Black Snake) et à la réussite contrastée. Mais il trouve avec ce suffocant polar urbain un genre et une thématique qui lui permettent d’explorer des sentiers artistiques aussi surprenants que grisants.
S’inspirant du documentaire de Mosco Boucault, Un crime à Abidjan (1997), qui suivait l’enquête d’un commissaire après le meurtre d’un officier de police, Ngijol transpose l’intrigue au Cameroun, à Yaoundé, et interprète lui-même le commissaire de police Zacharie Billong, qui se voit chargé d’élucider le brutal assassinat d’un de ses collègues.
● ● À LIRE AUSSI ● ● Mosco Boucault : « J’ai opté pour le documentaire, histoire de conjurer la mort »
Si cet enquêteur obsessionnel doit affronter la corruption galopante et les crises sociales généralisées, la spécificité est ici que le cinéaste se concentre particulièrement sur l’intimité familiale de ce personnage qui apparaît comme un père dépassé et en surchauffe.
Tiraillé entre plusieurs modèles d’éducation contradictoires, Zacharie peine à transmettre des valeurs constructives à ses enfants, envers qui il exprime une dureté inappropriée, qui ne sied guère à son épouse. Le foyer familial se voit ainsi miné par des conflits qui font se fissurer l’idée même d’édifice collectif, si bien que les allers-retours constants entre le terrain de l’enquête policière et l’intrigue patriarcale mouvementée dessinent un seul et même tableau politique, où l’assourdissante ville de Yaoundé incarne un grand espace de tension à ciel ouvert.
La photographie du chevronné Patrick Blossier (qui a notamment éclairé Sans toit ni loi d’Agnès Varda) offre de son côté une immersion réaliste dans ce tumulte urbain que Ngijol se charge d’habiller de quelques touches d’humour pince-sans-rire et d’une musique entêtante de Dany Synthé qui font dévier ce polar en apparence désenchanté vers une atmosphère plus intime, propice à la réparation.
Retrouvez tous nos articles sur le 78e Festival de Cannes, qui se tient du 13 au 24 mai.