CANNES 2025 · « Un simple accident » de Jafar Panahi : coup de maître politique

En compétition à Cannes pour la première fois depuis 2018, Jafar Panahi signe avec « Un simple accident » un surpuissant thriller qui pose frontalement la question de la vengeance politique, évoque l’emprisonnement que le cinéaste a subi de la part du régime iranien et invite déjà à imaginer les dilemmes moraux qui se poseront quand ce régime chutera. Un impressionnant coup de maître.


jafar panahi

Illustre réalisateur de Hors jeu, Taxi Téhéran ou Trois visages (récompensé d’un prix du scénario à Cannes en 2018), Jafar Panahi était emprisonné en Iran pour « propagande contre le régime » au moment où sortait en France Aucun ours, docufiction où il jouait son propre personnage, fin 2022. Désormais libre, le cinéaste quitte ici la mise en abîme narrative pour signer un thriller ultra tendu en immersion dans la réalité contemporaine iranienne, qui prend la forme d’un sidérant pamphlet (d’ailleurs tourné clandestinement en Iran).

Le récit est on ne peut plus frontal : un citoyen iranien ordinaire, Vahid, pense reconnaître un soir l’agent du gouvernement iranien qui l’a torturé quand il était détenu dans une prison du régime. Vahid kidnappe alors l’homme et le retient dans sa fourgonnette avant de le présenter tour à tour à plusieurs autres de ses anciennes victimes – hommes et femmes –, dans l’espoir que quelqu’un pourra formellement l’identifier. C’est là que tout se complique car ces personnages n’auront pas tous la même approche logistique ni la même conception morale de la vengeance et des manières de punir les agents du régime dictatorial iranien.
Conçu comme un suffocant suspense se passant quasiment en temps réel, Un simple accident réussit miraculeusement à conférer à son récit une tonalité ordinaire d’enchaînement d’évènements quotidiens à l’aspect parfois comique (la petite troupe va se heurter à des obstacles absurdes en tous genres) avant de dévoiler la colossale ampleur de sa fable politique qui donne déjà à voir quelles questions morales et judiciaires se poseront si ce régime était amené à tomber.

Ces personnages qui ont connu la prison et se demandent comment se venger apparaissent ainsi comme des alter ego et porte-paroles à peine masqués de Jafar Panahi lui-même, et la puissance du film s’accentue encore dans un dernier quart d’heure tétanisant qui pousse les protagonistes à faire un véritable choix moral. Le cinéaste, décidément en état de grâce, s’autorise ensuite un épilogue d’une force et d’une précision millimétrées, qui transforme définitivement cet estomaquant pamphlet en grande œuvre artistique.

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