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Guillaume Brac, cœurs de glace

  • Juliette Reitzer
  • 2014-01-28

Avez-vous pensé Tonnerre comme le pendant hivernal d’Un monde sans femmes ?
En effet, j’ai eu envie de raconter une histoire d’amour sur un ton très différent, et la saison hivernale convenait mieux à cette histoire plus dure, moins tendre. J’ai besoin que les décors et la lumière, et même la météo, soient le reflet de l’état émotionnel des personnages.

Comment votre mise en scène a-t-elle évolué entre ces deux films ?
La fabrication d’Un monde sans femmes était plus simple et plus harmonieuse pour ce qui est des rapports entre les acteurs, qui appartenaient à la même génération et se connaissaient déjà. Les scènes, assez naturellement, tenaient bien dans la durée, ce qui était moins le cas pour Tonnerre dans lequel Vincent était plus isolé, entouré d’une toute jeune comédienne, Solène Rigot, et d’un acteur beaucoup plus âgé, Bernard Menez. C’est un film très nocturne, qui du coup a demandé pas mal d’éclairage. Ça nous a permis avec Tom Harari, mon chef opérateur, de créer des atmosphères assez fortes, à la lisière parfois du fantastique. L’étang brumeux par exemple, avec cette lumière verte, ressemble à la porte des Enfers, ou à un chaudron de sorcière. J’aime beaucoup aussi la scène au cours de laquelle Maxime reçoit le texto le traitant de pédophile. Le téléphone ressemble à un objet surnaturel, il projette sur son visage une lumière bleue très étrange.

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Pourquoi avoir installé le film à Tonnerre, dans l’Yonne ?
Mes grands-parents ont vécu dans un petit village juste à côté de Tonnerre, et enfant j’étais persuadé que cette ville était pleine de sortilèges, de maléfices. En grandissant, je me suis rendu compte qu’elle a en effet quelque chose de très particulier, avec beaucoup de maisons abandonnées et des lieux fascinants, comme ces souterrains qu’on voit dans le film, et qui accueillaient des réunions un peu étranges entre les notables de la ville. J’avais en tête de tourner là-bas depuis des années, et il y avait une alchimie assez évidente entre ce lieu et le sujet du film.

Comment est né le personnage de Maxime, ce rocker sentimental interprété par Vincent Macaigne ?
D’abord, je voulais sortir Vincent du personnage qu’il jouait dans Un monde sans femmes et qui avait eu pas mal de déclinaisons dans d’autres films, notamment des courts métrages. Ça ne m’intéressait pas de lui offrir un énième rôle de loser un peu comique, avec ses vêtements de vieil ado. Le personnage du rocker, ça part presque d’une blague. Vincent avait eu une histoire d’amour qui ne s’était pas très bien passée, et la jeune femme en question sortait ensuite avec un critique de rock. Vincent m’avait dit : « Je devrais monter un groupe de rock pour lui faire les pieds. » C’était excitant de l’imaginer en rocker, un personnage séduisant et charismatique, avec un blouson en cuir qui le gaine, et des bottes qui affinent sa silhouette.

C’est un artiste en crise…
C’est peut-être la part autobiographique du film, en tous cas l’effet miroir qu’il peut y avoir entre le personnage et moi. J’avais très envie que Maxime tire quelque chose de cette histoire d’amour blessante pour lui. Il en fait une chanson à la fin du film. Moi aussi, comme la plupart des gens, j’ai vécu une histoire passionnelle et obsessionnelle, qui heureusement n’a pas été aussi loin. Et j’en ai fait un film.

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Comment la relation entre Maxime et son père s’est-elle agglomérée à cette histoire d’amour ?
Comme Un monde sans femmes, ce film est le mélange de deux projets distincts. J’avais un projet de court ou moyen métrage sur une relation à la fois tendre et difficile entre un père et son fils, pour lequel je pensais d’ailleurs déjà Bernard Menez. Et puis j’avais cette idée d’une histoire d’amour obsessionnelle qui démarrait de façon très légère et lumineuse et se transformait en quelque chose de cruel et violent. Finalement, les deux se sont articulés ensemble très naturellement. Ce système d’écho entre Maxime et son père, ces deux trajectoires qui paraissent d’abord si éloignées et qui se rapprochent étrangement à certains moments, je trouve ça assez beau. Entre un retraité qui habite en province et un jeune rocker parisien, il y a un monde, mais au fond il y une sorte d’universalité des émotions.

A l’image de ce lien entre des générations différentes, le film s’ancre à la fois dans le passé et dans le contemporain.
Par certains aspects, Tonnerre pourrait être un film des années 1970, avec le grain du 16 mm, des acteurs comme Bernard Menez, cette petite ville qui n’a pas changé depuis quarante ans… Mais je n’ai surtout pas envie d’être dans le vintage ou la nostalgie, et il y a aussi quelque chose de très contemporain dans le film, les téléphones portables, l’ordinateur, certains lieux très modernes comme le restaurant. Je suis assez à l’aise dans cette rencontre entre les deux mondes. J’ai de l’admiration pour des gens comme Maurice Pialat ou Jacques Rozier, ce sont leurs films, avec ce grain assez spécial, qui m’ont donné envie de faire du cinéma. Ça m’intéresse que le film puisse être irrigué par ça, qu’il ait des pères, qu’il s’inscrive dans une filiation.

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Le personnage de Mélodie, joué par Solène Rigot, est d’abord assez peu défini.
Maxime n’a pas le désir de vraiment la comprendre, il a plutôt envie de projeter des choses à la fois légères et très profondes sur elle. On ne sait pas grand-chose de Mélodie pendant toute une partie du film, c’est seulement dans le dernier pan qu’elle s’affirme. C’est pour ça que le visage très pur, très blanc, un peu insaisissable de Solène Rigot est intéressant. Je l’avais vue dans 17 filles, elle se démarquait vraiment, elle a une gouaille qui me plait, même si je l’ai pas mal gommée dans Tonnerre. Ce n’est pas une jeune fille évanescente qui prend des airs envoûtants, elle a quelque chose de très simple, de très ancré, qui donne plus de relief au fait qu’elle se comporte comme une séductrice.

Comme pour Un monde sans femmes, vous avez fait appel à de nombreux acteurs non professionnels. Pourquoi ?
En effet, dans le film il n’y a que quatre acteurs professionnels. Cela tient d’abord à l’envie très bête de filmer des gens que j’aime ou qui me touchent et que personne d’autre n’aura jamais l’idée de filmer. Ensuite, il y a un effet de contamination de la fiction par le réel, et de contamination des acteurs professionnels par les non professionnels, qui ancrent le film dans l’immédiat et le vrai. Filmer des gens qui ont avec eux un vécu, ça permet aussi d’éviter l’écueil des personnages secondaires purement utilitaires.

Rares sont les films qui parlent autant de sport : il y a dans Tonnerre des scènes de foot, de vélo, de ski de fond, de danse, de tennis…
C’est vrai, et encore, j’ai coupé une scène dans laquelle Bernard Menez jouait au ping-pong. Il y a plusieurs raisons à ça. D’abord, quelque chose qui est lié au personnage que joue Menez. Il essaie de se maintenir jeune et en même temps, comme il est très seul, il s’ennuie, donc il fait du vélo et regarde des vieux matches à la télé. Évidemment, ça vient aussi de moi, parce que quand j’avais 20 ans, mes deux rêves c’était de devenir journaliste à L’Équipe ou de faire des films. Dans la scène où Maxime et Mélodie font du ski de fond, ce qui est possiblement émouvant, c’est qu’on peut se dire qu’ils vivent là leur plus beau moment ensemble. Mais on sent déjà que quelque chose ne va pas fonctionner, c’est l’effet mélancolique que peut produire le grain de la pellicule : le présent est déjà en train de mourir, c’est déjà presque un souvenir.

Tonnerre de Guillaume Brac (1h40)
avec Vincent Macaigne, Solène Rigot…
sortie le 29 janvier

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