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Romain Huët : « Nous manquons sérieusement de raisons de croire au monde »
- Marguerite Patoir-Thery
- 2024-02-09
Chaque mois, une personnalité invitée par mk2 (société éditrice de ce magazine) choisit trois mots permettant de découvrir son travail. Reçu à l’occasion de la parution de son nouveau livre « La Guerre en tête. Sur le front, de la Syrie à l’Ukraine » (Puf), l’ethnographe Romain Huët, qui s’intéresse depuis des années aux pouvoirs d’attraction et de transformation de la violence, s’est prêté à l’exercice.
EMPORTEMENT
« Les figures d’emportement sont des personnes ordinaires qui refusent avec virulence le monde tel qu’il est. La guerre fourmille de ces personnages. En Syrie et en Ukraine, j’ai rejoint des volontaires qui décident de prendre les armes pour une idée. Je ne suis pas fasciné par la guerre. Par contre, j’ai constaté que de nombreuses personnes avaient cette étrange sensation de mieux vivre qu’avant.
Ils ne le disent pas ainsi, ça serait scandaleux. Mais ils se redécouvrent des puissances, ils ont le sentiment de faire l’histoire, de retrouver des solidarités. Il arrive évidemment que les choses tournent mal, que les gens abandonnent leurs causes pour répandre leurs crimes et leurs ravages. Mais ça n’est possible que parce que ces espoirs ne trouvent plus de prise dans le réel. Le drame n’est pas dans les soulèvements. Il est dans ces espoirs empêchés. »
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« C’est une expression que j’entends beaucoup chez les jeunes. “Chaud”, “Je suis chaud”. Je ne sais pas si ça indique que la vie manque de chaleur. Par contre, elle exprime une attente de densité existentielle, comme si une immense énergie collective était empêchée de s’exprimer. Certes, il existe toutes sortes d’espaces pour que chacun se dépense : des lieux de nuit, des parcs d’attractions, des voyages d’aventures.
Récemment sont apparus des bars à câlins, des fury rooms où l’on casse pour se défouler. Ces espaces déçoivent parce qu’ils sont rationalisés. Ils ne répondent pas à cette attente de ressentir corporellement la réalité. Ça indique une véritable crise actuelle : celle des sensations. C’est comme si la tiédeur de nos activités quotidiennes rendait la vie franchement morne. Alors que faire de ce désir inassouvi ? Comment faire de la place pour qu’on retrouve de la chaleur dans nos relations et dans notre vie politique ? »
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« Être attaché au monde. Hannah Arendt disait : “Nous sommes des obligés du monde.” Le drame est ici. C’est que nous ne croyons plus vraiment au monde. Il est difficile de trouver une personne qui croit sincèrement que, bientôt, le monde sera davantage habitable et harmonieux. C’est pourtant la condition du politique : “Croire au monde et y croire malgré tout”, disait Gilles Deleuze.
Nous manquons sérieusement de raisons de croire au monde. La vie intellectuelle doit viser ça. Elle ne doit pas seulement énoncer de grandes déplorations sur l’époque. Elle doit libérer l’imagination sur le genre de vie que nous pourrions expérimenter, la façon de faire couple, la place qu’occupe le travail dans nos vies, les relations que l’on entretient avec la nature, etc. Partout, il y a à inventer.
Sauf que personne ne sait vraiment comment s’y prendre. Alors nous expérimentons, nous désirons faire autrement. C’est un vertige “malgré tout” heureux. »
« Romain Huët. Les vertiges de la guerre », une rencontre modérée par le journaliste Thibaut Sardier (Libération), suivie d’une signature le 29 février, au mk2 Bibliothèque, à 20h. Pour réserver, cliquez ici.
La Guerre en tête. Sur le front, de la Syrie à l’Ukraine (Puf, 360 p., 18 €)