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QUEER GAZE · « ‘Titanic’, naufrage de mon hétérosexualité »

  • Hanneli Victoire
  • 2022-10-06

« Titanic » de James Cameron ressort en salles cette semaine. Au-delà d'une histoire banale entre un homme et une femme, il y a quelque chose de profondément queer dans l’histoire de ce film, comme nous le raconte le journaliste Hanneli Victoire.

Cette semaine dans la rubrique de notre journaliste Timé Zoppé sur le cinéma LGBTQ+, carte blanche à Hanneli Victoire, journaliste et rédacteur en chef de Pia Pia Media.

Titanic est né comme moi en fin d’année 1997, nous avons exactement le même âge. La première fois que je l’ai vu, il me semble que j’avais 7 ou 8 ans, avec mes parents, et j’avais pleuré à la fin, quand tout le monde applaudit sous l’escalier. Au lycée j’avais cette réputation de ne jamais pleurer, et encore moins devant des films. Pas un seul ? Je l’avouais, ok il y en avait bien un, l’unique, c’était Titanic.

Dans mon lycée d’art, on levait les yeux au ciel, on ricanait. Quel manque de culture ! Quel comportement idiot de jeune fille fleur bleue !  Alors je n’en ai plus parlé. Mais j’ai continué de le voir, souvent, seul. Une fois à Paris, une fois queer, une fois trans, j’ai trouvé des amis aussi queer et passionnés que moi. Titanic est devenu notre film refuge, celui des dimanches et des lendemains de rupture. Nous connaissons toutes les répliques, toutes les bizarreries des figurants, toutes les musiques. Nous l’aimons comme un teen movie ou un mauvais nanar, pour son côté drama et kitsch, pour Céline Dion et pour son gros diamant bleu.

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Pourtant, Titanic n’est pas une série B. C’est un film qui a gagné onze oscars, engendré plus de 2 milliards de dollars de recettes et se classe troisième dans les films les plus vus dans le monde. Titanic est un phénomène mondial qui a propulsé les peu connus Kate Winslet et Leo DiCaprio au rang de superstars.

J’ai eu la chance de le revoir au cinéma il y a deux ans avec un ami, à Paris. La salle était remplie de femmes et de queer qui étaient comme nous, venus vivre ensemble ce moment si formidable de voir un de ces films préférés sur grand écran. Nous étions beaucoup à pleurer, ce soir de septembre 2020, rassemblés dans une très éphémère brèche entre deux vagues de pandémie, déconfinés, hagards de se retrouver au cinéma, les émotions exacerbées, celles que les hommes virils ne s’autorisent pas. Titanic est queer et féministe car, déjà, il ne plaît pas aux hommes cis-hétéros. Trop romantique, trop fleur bleue, dépeignant des personnages masculins aussi ridicules et toxiques les uns que les autres, sauf un. 

N’a-t-on rien de mieux à faire que de s’émouvoir d’une histoire hétéro ? Si Titanic a touché autant de personnes queer, c’est bien plus qu’une histoire de mélodrame. Titanic est profondément female gaze. C’est l’histoire de Rose, une jeune fille cultivée, aimant l’art, étouffée par les conventions sociales, ne cherchant que l’émancipation de sa condition de femme. Est-ce que Rose trouve la liberté en tombant amoureuse d’un homme comme nous le suggère une première lecture facile ? Non. Rose trouve la liberté en rencontrant un amour émancipateur, égalitaire, qui la respecte. Que Jack soit un homme n’a que très peu d’importance car, aux yeux de nombre de mes amis queer, l’androgynie de DiCaprio le transforme soit en belle butch, soit en mec trans juvénile.

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Quoi de plus troublant pour une personne queer comme moi que de regarder sa sexualité ou son identité de genre par le prisme de ce couple ? Jack, comme beaucoup d’entre nous, cherche à se faire une place dans ce monde, invité mais méprisé à la table du boys’ club des riches. Il est artiste, pauvre, déclassé. Il finit par se sacrifier et disparaître dans l’oubli de tous, sauf dans le souvenir de celle qui l’a aimé. Dans leur couple, c’est Rose qui décide tout, de la manière dont Jack la dessine et dont il doit lui faire l’amour, comme de rester ensemble jusqu’au bout, là où elle aurait pu se sauver en canot. Quelle lesbienne n’a jamais été perturbée par l’image de Kate Winslet, décoiffée, furieuse, magnifique, une hache à la main, de l’eau jusqu’aux genoux, déterminée à libérer son amour quoi qu’il en coûte ?

De cet amour profond, salutaire est né, je crois, dès l’enfance, mon envie viscérale de vivre moi aussi, un amour et plus largement une vie comme Rose, loin des hommes qui violentent, corsètent et contraignent les femmes. Il en va de même pour tous mes amis queer. Si Jack se sacrifie, Rose quant à elle se libère et nous montre un chemin qui est possible, celui d’une vie heureuse loin d’un bateau à l’image du patriarcat, clinquant, vulgaire, méprisant, violent, mais surtout : voué à disparaître. 

Titanic est un film certes tragique, un poil kitsch et trop long, mais profondément libérateur. Il nous propose, nous aussi, de cracher par-dessus la balustrade, de laisser tomber les gros diamants bleus, et de vivre des amours qui nous rendent vraiment heureux. 

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