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Jean Painlevé, à contre-courant

  • Joséphine Leroy
  • 2022-08-22

Chercheur fasciné par le vivant et cinéaste anticonformiste, Jean Painlevé (1902-1989) a hissé le cinéma scientifique au rang d’art. En plus de deux cents films (« Le Bernard l’ermite », 1929 ; « Le Vampire », 1945 ; « Acéra ou le Bal des sorcières », 1978), ce biologiste proche des surréalistes (Luis Buñuel, André Breton), ami de Jean Vigo, s’est surtout intéressé aux secrets de la faune marine. Utilisant des effets de ralenti ou d’accélération, jouant avec la transparence et la lumière, il en a tiré des images hypnotiques, souvent accompagnées de commentaires espiègles. Le Jeu de Paume lui consacre tout l’été l’impressionnante exposition « Jean Painlevé. Les pieds dans l’eau ». Divisée en quatre espaces (« le littoral », « l’objectivité scientifique », « un surréalisme politique », « dynamiques étonnantes »), enrichie de textes, d’objets et d’extraits d’autres œuvres du cinéma scientifique, elle mêle films de recherche inédits et films que Painlevé destinait au grand public. Pia Viewing, commissaire de l’exposition, commente pour nous des images pêchées dans ce magnifique bocal.

Jean Painlevé, Hippocampe dans les algues, vers 1934. Épreuve gélatino-argentique d’époque © Les Documents Cinématographiques / Archives Jean Painlevé

« L’hippocampe, c’est vraiment l’animal fétiche de Painlevé. Son film L’Hippocampe (1931-1934), qui a été censuré à un moment donné aux États-Unis [parce que le film comporte des scènes de copulation, ndlr], est son plus grand succès. Ce qui le fascinait, c’est sa forme presque mythologique. C’est un poisson qui nage debout et qui se reproduit en entrelaçant sa queue avec celles d’autres hippocampes. La femelle passe les œufs au mâle, qui porte pendant toute la gestation les petits. Avec Geneviève Hamon, sa compagne et collaboratrice, ils vont créer la marque JHP et réaliser une ligne de bijoux et d’objets à partir de ce succès, dans une forme de marketing cinématographique assez avant-gardiste. Geneviève réalisait des pochoirs à partir desquels elle créait des tissus imprimés, des papiers peints, tous très intensément colorés. »

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Jean Painlevé, Acera dansant ou Femme à la fraise Renaissance, vers 1972Épreuve couleur d’époque. Photogramme © Les Documents Cinématographiques / Archives Jean Painlevé

« Ces mollusques sont hermaphrodites et vivent dans la vasière du littoral. Painlevé a filmé leurs très belles danses nuptiales dans Acéra ou le Bal des sorcières. C’est un film en couleurs qui est captivant, très séduisant, étrange, la poésie des images est contrecarrée par la voix off de Painlevé qui décrit leurs cycles vitaux, leurs mouvements… C’est assez amusant de voir à quel point il s’est intéressé à la reproduction des animaux marins, autant dans L’Hippocampe que dans Acera. Et de voir que, dans beaucoup de ses films, il fait des descriptions anthropomorphiques. Dans Le Bernard l’ermite, qui date de 1928, il parle par exemple de crise du logement, et met en scène un match de foot. Il le dit dans ses textes : ça rend le film encore plus proche des gens. »

Jean Painlevé, Effets photoniques : Photons patriotiques, détail, 1974. Épreuve couleur d’époque. Photogramme © Les Documents Cinématographiques / Archives Jean Painlevé

« Painlevé a dirigé la recherche scientifique du Conservatoire national des arts et métiers entre 1937 et 1976, il a travaillé à la station biologique de Roscoff dès 1953, celle de Banyuls-sur-Mer aussi. Il était en contact avec des scientifiques du monde entier. Dans les années 1970, il a fait ce film sur les photons. Toute la lumière qui se dégage de cette image, c’est la quintessence même du cinéma et de la photographie. Il a aussi fait des films sur les nitrates d’argent, le support photosensible de la pellicule. Dans les années 1960-1970, des cinéastes ont fait des films plutôt conceptuels pour étudier la matière même de la pellicule. Avec ses films, Painlevé le faisait aussi à sa façon. »

Anonyme, Geneviève Hamon avec pinces de homard. Épreuve gélatino-argentique d’époque © Les Documents Cinématographiques / Archives Jean Painlevé

« Geneviève est mentionnée comme coréalisatrice des films de Painlevé à partir de 1960. Dans des interviews qu’il donnera dans la dernière partie de sa carrière, il dira à quel point elle l’a aidé. Le texte de Painlevé qui s’appelle Les Pieds dans l’eau et qui a donné son titre à l’exposition décrit précisément les difficultés qu’ils rencontrent en filmant les animaux, qu’ils plaçaient dans des aquariums. Il fallait que ceux-ci soient parfaitement hermétiques, que l’eau soit régulièrement oxygénée, qu’elle ne chauffe pas trop avec les spots. Il fallait aussi une profondeur de champ assez importante, ce qui était compliqué à mettre en place. Souvent, les journalistes me disent que Painlevé devait être très entouré, mais non, ils étaient au maximum trois à chaque fois. Tous deux étaient très indépendants, et c’est ce qui participe peut-être à l’esprit poétique de ce cinéma. »

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« Jean Painlevé. Les pieds dans l’eau », jusqu’au 18 septembre au Jeu de Paume. Plus d'informations ici.

Image de couverture : Jean Painlevé avec la Cameflex tenue par harnais conçu par Geneviève Hamon, Roscoff vers 1958 Épreuve gélatino-argentique d’époque © Les Documents Cinématographiques / Archives Jean PainlevéGeneviève Hamon

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