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PORTFOLIO : Fils de l’ombre
- Timé Zoppé et Joséphine Leroy
- 2019-08-07
Dans une banlieue tranquille, une lumière spectrale émane d’un pavillon niché derrière un arbre tortueux, perçant la nuit dans une contre-allée déserte. Il ne s’agit pas d’un plan d’un film de David Lynch, mais d’une photographie de Henry Wessel, Night Walk No 5, prise en 1998, visible dans l’expo « Henry Wessel. A Dark Thread » à la Maison européenne de la photographie jusqu’au 28 août. Pour prolonger l’hommage à l’artiste américain (décédé en 2018) qui créait des échos visuels entre ses images, la MEP a monté une autre expo, « Fil noir », en sortant de ses archives cent cinquante clichés en noir et blanc d’artistes de tous horizons eux aussi influencés par le film noir. Pascal Hoël, responsable de la collection de la MEP, a décrypté pour nous une sélection d’images qui évoquent ce genre filmique explorant les recoins sombres de l’âme humaine. À vos loupes.
Photo de couverture : Larry Clark, Sans titre, 1963, de la série « Tulsa », collection Maison européenne de la photographie, Paris
Helmut Newton, Vogue Grande-Bretagne, Londres, 1967, collection Maison européenne de la photographie, Paris
« Le travail de Helmut Newton, grand photographe de mode, a été très marqué par celui des paparazzis, et en particulier par celui de Weegee, un reporter qui a photographié quantité de faits divers dans les années 1940 et 1950. Cette photo, qui est une commande du magazine Vogue, est clairement un pastiche de La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock. C’est rare que Newton se réfère aussi nettement à une œuvre. »
Sabine Weiss, Sortie de métro, Paris, 1955, collection Maison européenne de la photographie, Paris
« Cette photo a été prise à Paris, en 1955. Sabine Weiss est peut-être la dernière artiste du courant de la photographie humaniste encore vivante. Ce sont des photographes qui ont souvent été associés au réalisme politique, au cinéma de Jean Grémillon et de Marcel Carné. Dans le contexte de l’après-guerre, cette école produisait des œuvres sombres, bien qu’on ait dit de leurs travaux qu’ils étaient optimistes. En réalité, il y a beaucoup de photographies de nuit, à l’atmosphère assez noire. »
Johan van der Keuken, Boulevard du Temple, Paris, 1957, collection Maison européenne de la photographie, Paris
« C’est une photo du Néerlandais Johan van der Keuken, qui est devenu l’un des plus grands réalisateurs de documentaires . On est en 1957, à Paris. Il a 23 ans et il suit des cours à l’institut des hautes études cinématographiques (IDHEC). Il est marqué par la photographie humaniste et il prépare son livre Paris mortel, inspiré du livre de William Klein New York 1954-1955. Il photographie de nuit un cinéma et son reflet dans le bitume parisien, ce qui rappelle fortement les codes du film noir. »
René Groebli, Sans titre, 1949, de la série « Magie du rail »
« Le photographe suisse René Groebli, qui a plus de 90 ans maintenant, a publié en 1949 un livre qui s’intitule Magie du rail dans lequel il évoque le mouvement d’une locomotive. Ce qui l’intéressait, ce n’était pas de photographier les cheminots ou autres personnages, mais de retranscrire le mouvement dans des images fixes. Ces photographies nous ont vraiment fait penser à la scène d’ouverture du film de Jean Renoir La Bête humaine. On imagine bien Jean Gabin dans cette locomotive. C’est un essai purement esthétique, assez radical. »
Seymour Jacobs, Flatbush Terrace, Brooklyn, 1977, collection Maison européenne de la photographie, Paris
« Dans l’exposition, il y a beaucoup de personnages qui font penser à ceux des films noirs, dont cet homme à l’aspect mafieux, photographié par l’Américain Seymour Jacobs, qui a capturé un certain nombre d’anonymes dans son quartier d’enfance à Brooklyn. Cette photo en gros plans date de 1977 et donne l’impression d’être tirées de Scarface – aussi bien le film de Howard Hawks. Elle évoque aussi les personnages de Martin Scorsese. »
Charles Harbutt, Car, Aspen, Colorado, 1971, collection Maison européenne de la photographie, Paris
« Charles Harbutt est un photographe américain qui fut très longtemps membre de l’agence Magnum. Il disait qu’on ne voit vraiment ce qu’est l’image que longtemps après la prise. Cette image est tout à fait exemplaire de ce côté-là. C’est une photographie prise du réel, mais, avec cette portière de voiture ouverte, cette nature pleine d’arbres dont on ne voit que les troncs, on a l’impression d’une mise en scène proche de l’univers de David Lynch, dont les films sont pourtant sortis des années après. »