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PORTFOLIO · « Bollywood Superstars », indémodable

  • Joséphine Leroy
  • 2023-10-11

Visions kaléidoscopiques, démon à dix têtes, épopées mythiques et costumes en sequin… Jusqu’en janvier 2024, le musée du quai Branly – Jacques Chirac accueille la sublime exposition « Bollywood superstars. Histoire d’un cinéma indien ». Doublé de projections, de fêtes, de spectacles, cet événement traverse l’histoire d’un cinéma à la fois populaire, flamboyant, festif et très puissant, puisqu’il compte près de deux mille productions par an. Tentures, objets rares, extraits de films, photographies et même expérience immersive – grâce au bollystudio, qui permet à une personne de s’incruster, grâce à un fond vert, dans une séquence de comédie musicale… À travers une sélection de près de deux cents œuvres, l’exposition démonte aussi certains clichés. « L’Inde a une grande mémoire d’elle-même, mais il ne faudrait pas croire que c’est figé. C’est toujours réinventé », résume la commissaire Hélène Kessous, docteure en anthropologie sociale et ethnologie, et adjointe scientifique au musée départemental des arts asiatiques de Nice, qui a conçu le parcours avec le conservateur du patrimoine Julien Rousseau. On a demandé à cette dernière de commenter une sélection d’images qui viennent éclairer la force scintillante de ce cinéma qui traverse le temps sans prendre une ride.

Photogramme du film Mughal-E-Azam de Kamuddin Asif, 1960

« Mughal-E-Azam est l’un des films qui a le plus rapporté d’argent au box-office dans l’histoire du cinéma indien [dans un article daté de 2009, le magazine The Hindu dit qu’il s’agit du film de Bollywood qui a rapporté le plus d’argent de tous les temps si l’on tient compte de l’inflation, ndlr]. Ce film, c’est une rêverie extraordinaire [réalisé par Kamuddin Asif et sorti en 1960 en Inde, il raconte l’histoire légendaire de l’amour impossible de Salim, prince héritier du trône moghol, et d’Anarkali, esclave et danseuse à la cour, ndlr]. Je le trouve absolument sublime. Le film est en noir et blanc à la base, mais il a été recolorisé en 2004, dans le respect de la volonté du réalisateur, qui l’avait pensé en couleur.

Ce film est aussi intéressant parce qu’il pose une question de définition infernale sur ce qu’est Bollywood. Le terme apparaît pour la première fois dans les années 1970, mais, du point de vue indien, il va s’appliquer rétrospectivement à tout ce cinéma qui est hindiphone et vient de Bombay. Et il va même s’appliquer à ce qu’on qualifie – avec nos manières de voir les choses – de « cinéma indépendant », comme Anurag Kashyap, qui a été plusieurs fois à Cannes [pour Gangs of Wasseypur et Ugly, deux films sélectionnés à la Quinzaine des réalisateurs en 2012 puis 2013, ndlr]. Ça nous semble bizarre, parce que pour nous, Bollywood, c’est un cinéma populaire. Mais j’espère qu’à travers les extraits de films que l’on montre on va se rendre compte du soin apporté à la mise en scène de ces films populaires, parce que c’est souvent un procès qu’on leur fait. »

Krishna Victorious Enhanced © Art Gitanjali Rao

« En Occident, dès qu’un objet technique plus évolué apparaît, on a tendance à abandonner les autres. Donc on a abandonné la lanterne magique, le bioscope [ancêtres des appareils de projection. Apparue au xviie siècle, la lanterne magique est plus complexe dans sa technique, car elle nécessite de peindre sur des plaques de verre ; le bioscope, composé de deux tambours qui tournent de façon synchrone devant des objectifs, est apparu au xixe siècle, ndlr], quand le cinéma est devenu populaire. En Inde, ces objets ont coexisté et n’ont parfois toujours pas disparu. Le bioscope est toujours utilisé dans les fêtes foraines en Inde, les enfants adorent dépenser quelques roupies pour regarder ces images qui défilent. Pour faire le lien avec la mythologie – présente absolument partout dans l’exposition –, on a demandé à Gitanjali Rao de recréer une plaque de lanterne magique et de s’inspirer d’un des célèbres épisodes de la vie de Krishna, dans lequel celui-ci sauve les eaux de la rivière Yamuna, polluées par un serpent maléfique et venimeux. L’outil est manipulable par le public, et l’idée est de montrer comment les lanternes magiques ont commencé à instaurer le mouvement. »

Affiche de l’exposition « Bollywood superstars » © Gitanjali Rao

« L’un des buts de l’exposition, c’est de dire que oui, Bollywood, ça chante, ça danse, c’est coloré, mais ce n’est pas kitsch. Je ne supporte pas quand on dit ça. On a eu l’idée de demander à Gitanjali Rao [une animatrice, réalisatrice, scénariste, actrice et monteuse de cinéma indienne, qui a notamment signé le long métrage d’animation Bombay Rose, inédit en France, ndlr] de faire l’affiche. Elle reprend une tradition : avant l’ère numérique, en Inde, on peignait des affiches sur des panneaux de bois géants pour qu’elles soient vues de très loin et parce qu’on a ce rapport surdimensionné avec le cinéma, avec le culte des acteurs. Elles étaient peintes dans un style assez particulier. Dans l’exposition, on a trois grandes affiches reproduites, dont une qui a été faite pour le film Ajooba, avec Amitabh Bachchan [film de super-héros sorti en Inde en 1991 et réalisé par Shashi Kapoor, ndlr]. C’est le film dans lequel on voit le plus ces visages aux mille couleurs. »

A Rajasthani Girl, 1930-1950 © musée du quai Branly – Jacques Chirac

« Ça fait partie des collections du musée. Quand j'ai vu cette image, je me suis dit que c’était le stéréotype de la maharani [princesse hindoue, ndlr] dans son palais. Ça a façonné tellement d’images du Rajasthan [État du nord-ouest de l'Inde, ndlr]. On retrouve ça dans des films, sur des cartes postales… Si vous cherchez le film d’animation Bombay Rose de Gitanjali Rao sur Internet, vous verrez réapparaître cette figure de jeune princesse qui regarde vers l’extérieur et qui est sous les volutes dans son palais. C’est une image d’Epinal. Il y a presque toujours un moment dans un film où on va voir ce plan-là. Et c’est une photo extrêmement cinématographique, ça pourrait être un photogramme de film. »

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