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Pierre-Olivier Persin, maquilleur prosthétique : « C’est un métier qui est très intrusif »

  • Julien Dupuy
  • 2022-10-10

On fait de drôles de rencontres dans cet atelier montreuillois : une tête coupée prend la poussière dans un carton, la gueule d’un homme-poisson nous toise de son étagère, et le visage serein de Simone Veil trône sur l’établi. Ces visions surréalistes sont l’œuvre du tenancier des lieux, Pierre-Olivier Persin, un artiste à la fois sculpteur, peintre et savant fou, maniant des produits chimiques improbables pour concevoir des effets spéciaux troublant de réalisme. Rencontre avec ce docteur Frankenstein du grand écran.

« J’aime bien dire que nous sommes les doublures cascades des maquilleurs traditionnels : nous faisons des choses trop périlleuses, trop expérimentales pour que les autres s’y risquent. En d’autres termes : je fais un métier casse-gueule ! » Cet artiste au goût du risque assumé s’appelle Pierre-­Olivier Persin. Il est l’un des chefs de file français d’un métier fascinant et assez mal connu du grand public : maquilleur prosthétique ou d’effets spéciaux. « Je fais des maquillages en trois dimensions : je peux transformer les formes d’un visage, d’un corps, voire fabriquer ex nihilo des portions de corps pour, par exemple, concevoir un cadavre. Pour le dire autrement, je suis incapable de faire de beaux yeux charbonneux à une comédienne, mais je peux la vieillir de plusieurs décennies ! »

Comme nombre de ses confrères, Pierre-­Olivier Persin a découvert sa vocation en grandissant devant le cinéma de genre des années 1980, alors que les films fantastiques bénéficient des talents d’une toute nouvelle génération d’artistes capables de créer des monstres improbables en mousse de latex. Beaucoup ont été bouleversés par The Thing de John Carpenter ou Le Loup-garou de Londres de John Landis. Pour Pierre-Olivier Persin, la révélation a lieu devant RoboCop de Paul Verhoeven. « Il y avait tout dans ce film : le costume de RoboCop, évidemment, mais aussi des fausses têtes, un homme qui se liquéfiait… J’ai adoré l’idée de concevoir des œuvres très organiques. Du coup je demandais des pots de latex et des sacs de plâtres pour Noël et je passais tout mon temps libre à recopier les effets spéciaux des grands maquilleurs américains, comme Rick Baker, Rob Bottin ou Tom Savini. »

Car le maquilleur en herbe comprend très rapidement que ce corps de métier exige une somme de compétences intimidante. « Ça fait bien longtemps que les maquilleurs prosthétiques ne transforment plus les comédiens en direct avec, par exemple, de la cire ou du collodion. La base de notre métier consiste à fabriquer des prothèses sur mesure. Il faut donc maîtriser le moulage puis être capable de sculpter les prothèses en pâte à modeler, qui seront ensuite tirées en matériaux souples, peintes et enfin posées sur les acteurs. »

L’école des monstres

Pierre-Olivier Persin, qui s’est formé tout seul avec quelques livres et magazines consacrés à sa passion, rentre dans le cinéma par la petite porte. « Je me suis lancé après le bac, d’abord avec un petit boulot dans un atelier déco, puis en travaillant pour des jeux vidéo et des salons. Pour moi, le cinéma était alors un grand mur insurmontable. Et un jour un accessoiriste, probablement totalement désespéré, a demandé au vendeur d’une boutique de beaux-arts s’il connaissait quelqu’un capable de reproduire la blessure d’un égorgement. Ce vendeur lui a donné mon nom, et on m’a aussitôt embauché. C’était pour Le Petit Voleur d’Érick Zonca. De là a découlé ma collaboration avec Robert Guédiguian puis Cédric Kahn. »

Car s’il travaille sur quelques films de genre (dernièrement La Nuée ou le thriller Un illustre inconnu), Pierre-Olivier Persin se fait rapidement un nom dans le cinéma d’auteur français, un domaine pas franchement coutumier des effets spéciaux. « Il m’est arrivé d’affronter des préjugés très négatifs à l’égard de mon corps de métier, notamment de la part de cinéastes qui se réclament du cinéma-vérité. Pour certains, c’est une torture de devoir utiliser des artifices, mon métier est contre nature. Je dois alors me montrer discret et pédagogue. Et, dans le meilleur des cas, les réalisateurs comprennent comment ils peuvent tirer parti de mon travail. C’était le cas avec Abdellatif Kechiche pour La Vie d’Adèle, sur lequel nous avions fait des prothèses pubiennes, pour que les comédiennes soient plus à l’aise devant la caméra durant la scène d’amour. Grâce à cette protection, les actrices ont vraiment pu se libérer. »

On le voit, l’une des compétences qu’exige le métier de Pierre-Olivier Persin réside dans sa capacité à s’adapter aux comédiens qui doivent subir ses transformations. « C’est un métier qui est très intrusif. Mes prothèses sont collées sur le visage d’êtres humains, souvent des gens sensibles, avec une pose qui peut durer parfois jusqu’à cinq heures. Et ils doivent vivre toute une journée de tournage avec ces éléments sur le visage, puis passer encore une bonne demi-heure de démaquillage en fin de journée. En prime, mes travaux touchent très fréquemment à des thématiques qui remuent des choses profondes, comme la vieillesse, la blessure, la maladie ou encore la maternité, puisque l’on nous demande souvent de concevoir des faux ventres de femme enceinte. Quand je pose un maquillage, je dois donc être très attentif : parfois, les acteurs ont besoin de se fermer, d’autres fois d’échanger. L’aspect humain de ce travail est primordial. »

Si Pierre-Olivier Persin a son lot de souvenirs difficiles, il a en revanche nourri des relations professionnelles fructueuses avec des cinéastes (dernièrement François Ozon, pour qui il a signé l’incroyable maquillage d’André Dussollier dans Tout s’est bien passé), mais aussi des acteurs. « Il m’arrive d’avoir des collaborations merveilleuses avec certains comédiens qui m’impliquent dans leur processus de travail. C’est le cas de Philippe Torreton, qui m’avait demandé de changer son visage quand il interprétait le tueur Michel Fourniret pour le téléfilm La Traque. Le fait que son visage soit caché derrière mes prothèses lui permettait de se débarrasser plus facilement du poids de cette interprétation à l’étape du démaquillage. »

La carrière de Pierre-Olivier Persin est pleine de surprises. À côté d’une palanquée de films français à petit budget, on retrouve son nom aux génériques d’énormes blockbusters, comme World War Z ou Avengers. Infinity War. « Les techniques restent les mêmes. Mais ce que m’ont apporté ces expériences, en particulier les dernières saisons de Game of Thrones, est en lien avec l’échelle absolument incroyable de ces tournages. Car ces productions sont des bijoux d’organisation : tout y est coordonné de façon magistrale. » Et quand Pierre-Olivier regagne ses pénates, ce sens de l’organisation se révèle bien utile.

Croiser les visages

Par exemple pour le projet très ambitieux d’Olivier Dahan, Simone. Le voyage du siècle, en salles le 12 octobre. « Souvent, les directeurs de production français ne comprennent pas pourquoi notre travail demande autant d’argent, et de temps. Le film d’Olivier Dahan m’a demandé entre six et sept mois de travail, avec trois mois de préparation, ce qui était horriblement court. La masse de travail était considérable car ce film est l’histoire de toute une vie, celle de Simone Veil, qui est interprétée par deux comédiennes, Elsa Zylberstein et Rebecca Marder. Ainsi, il fallait concevoir neuf étapes de maquillage sur ce seul personnage qui évolue dans le temps, sachant que nous avions d’autres missions, comme le vieillissement de l’acteur qui interprète son mari. De plus, nos prothèses sont éphémères : parce qu’elles sont extrêmement fines et fragiles, elles se détruisent à l’étape du démaquillage. Il faut donc en concevoir un nouveau jeu pour chaque jour de tournage. »

À cette charge de travail dantesque s’ajoute un défi intimidant : modifier les traits des deux comédiennes pour qu’ils évoquent ceux de Simone Veil. « Le but n’est pas de créer un sosie : ça ne rimerait à rien et ça ne fonctionnerait pas. Nous cherchons plutôt à créer un personnage qui serait un point de concordance entre le visage de l’actrice et celui du personnage historique. Ça n’empêche pas qu’Elsa Zylberstein porte un maquillage très lourd : a minima, elle a un faux nez, des pommettes, des joues, des fausses dents, une perruque et un sous-­costume grossissant. Chaque jour de tournage, elle devait donc subir entre trois heures trente et cinq heures de maquillage, hors coiffure et costume. » Éreinté à l’issue de ce tournage, Pierre-Olivier Persin passe pourtant une bonne partie de son temps libre à se perfectionner, en particulier en continuant à sculpter : « Étrangement, c’est dur de s’arrêter, admet-il. Et c’est très agréable de servir sa propre vision, mais ça peut aussi me torturer, bien plus que lorsque je suis au service d’un cinéaste. C’est bizarre non ? »

Simone. Le voyage du siècle d’Olivier Dahan, Warner Bros. (2 h 20), sortie le 12 octobre

Image d'ouverture : Pierre-Olivier Persin pose un maquillage de zombie pour la série Game of Thrones. Les sections vertes seront remplacées en postproduction par la mâchoire du personnage.

Photogrammes : Copyright 2020 - Marvelous Productions - France 2 Cinéma - France 3 Cinéma

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