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OLDIES · Focus sur Binka Zhelyazkova, figure oubliée du cinéma bulgare

  • Marie-Manon Poret
  • 2023-03-09

À l’occasion de la sortie en version restaurée des deux longs-métrages « Nous étions jeunes » (1961) et « Le Ballon attaché » (1967), et d’un documentaire qui lui est consacré (Binka : to tell a story about violence de Elka Nikolova, sorti en 2007), on se replonge dans la vie et l’œuvre de Binka Zhelyazkova, cinéaste féministe et antifasciste, longtemps invisibilisée par son pays.  

À l’heure où l’on écrit ces lignes, Binka Zhelyazkova n’a pas de page Wikipédia française. Pourtant, elle est l’autrice d’un cinéma politique puissant. Projetés pour la première fois en France en 2021, dans le cadre de la cinquième édition du festival « Un weekend à l’est », les deux films de la cinéaste bulgare que Malavida ressort nous apparaissent comme des trésors trop longtemps cachés. Née en 1923 à Svilengrad, Binka Zhelyazkova s’est engagée très jeune, pendant la Seconde Guerre mondiale, dans les rangs des jeunesses antifascistes. Une expérience qui va servir de ligne directrice à sa carrière, débutée à la fin des années 1950. La production de ses films, plastiquement audacieux, est alors entravée par le régime communiste autoritaire – un système politique dont elle dénonce les débordements.  

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Son œuvre connaît un accueil contrasté. D’un côté une reconnaissance à l’étranger – des nominations dans des festivals à Montréal, Moscou ou même Cannes, où est montré en 1976 Le Dernier mot, sur six prisonnières politiques qui attendent leur exécution –  de l’autre, une censure dans son propre pays, où son œuvre a été interdite par un décret pendant trente ans (jusqu’en 1990, année qui marque la chute du régime communiste). Disparue en 2011, la cinéaste aura milité toute sa vie contre toutes les formes de répression, en s’engageant lors de l’insurrection hongroise, la guerre du Vietnam ou encore lors des mouvements féministes des années 1970. On revient en détails sur Nous étions jeunes et Le Ballon attaché, deux drames réalisés dans les années 1960 qui montrent comment la guerre a entaché la vie d’une jeunesse désenchantée. 

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Nous étions jeunes (1961)  

Le récit se déroule en 1941 et très vite, son atmosphère tour-à-tour fiévreuse et anxiogène captive. La cinéaste suit un commando de résistants de la ligue de la jeunesse ouvrière, pour tirer le portrait d’une jeunesse sacrifiée, qui met au point des stratagèmes de résistance, d’action radicale – l’explosion de bâtiments – et de communication (dans une séquence, on les voit accompagner de tracts qu’ils finiront par garder lors d’une représentation à l’opéra, captivés par la beauté du ballet sous leurs yeux).   

Nous étions jeunes de Binka Zhelyaskova (c) Malavida

Binka Zhelyaskova filme ses personnages révolutionnaires avec amour. Elle capture en gros plans, avec une faible profondeur de champ, les émotions contrastées qui traversent leurs visages. Elle métaphorise aussi leurs combats, en suivant de près une jeune fille en fauteuil roulant équipée d’un appareil photo qui devient une arme redoutable, mais aussi l’extension d’elle-même. Cette dernière image apparaît comme une mise en abyme. Elle montre, in fine, comment la réalisatrice, qui partage avec Tarkovski un goût pour les dispositifs vidéos expérimentaux, use d’un objectif pour lutter. Une sublime scène nous reste encore en tête : elle y filme ses jeunes héros tourmentés, qui discutent d’amour (et surtout d’amour impossible) dans une forêt dont les arbres, par leur verticalité et leur rudesse, font écho aux barreaux d’une prison. 

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Le Ballon attaché (1967)  

Avec ce conte hallucinatoire, la réalisatrice s’intéresse de nouveau aux traumatismes de la Seconde Guerre mondiale dans son pays. Elle nous emmène dans une contrée fictive où les paysans se mettent en tête de suivre un ballon militaire qui plane au-dessus de leur visage. Leur terreur va laisser place à une fascination obsessionnelle… Ici, le réalisme flirte avec l’onirisme, le cauchemardesque, à la manière d’un film de Federico Fellini. Le ballon s’adresse aux paysans d’une voix lugubre et devient une entité quasi-vivante, les chiens communiquent comme des humains par leurs aboiements, une jeune fille terrifiée effectue une course effrénée à travers les montagnes, les portants à linges s’animent comme des épouvantails merveilleux, une fanfare débarque de nulle part…

Le Ballon attaché de Binka Zhelyaskov (c) Malavida

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Ces éléments signalent la modernité et la puissance métaphorique du cinéma de Binka Zhelyazkova, qui reprend les codes du néo-réalisme italien avec sa manière aride de montrer la vie quotidienne, d’épouser le tragique de la réalité sans artifice. Dans ce chaos absurde se loge un message subliminal : le ballon devient le motif des idéaux promis par le régime, telle qu’une société égalitaire et des perspectives d’avenirs. Face à ces promesses non tenues, les hommes redoublent d’une violence insidieuse, que la réalisatrice préfère suggérer par des ellipses. Malgré la répression, la cinéaste réussit à retranscrire derrière cette fable ubuesque un témoignage marquant sur le désespoir et le dénuement d’une époque sombre.  

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