Un ciné avec Odin, chien de détection des punaises de lit

C’est un Pincher de 5 ans, à la queue frétillante, aux oreilles dressées, à l’œil vif et un peu inquiet, portant fièrement un harnais noir marqué de son nom : Odin. Odin, comme le dieu suprême et badass de la mythologie nordique ? « C’est surtout Odin le roi du pop corn », tempère Lucie, sa maitresse. Mais pour le gourmand, le devoir avant tout : il est 8h15, l’heure de grimper au premier étage, en salle 2, pour débuter la détection canine.

Odin intervient ici car un client du cinéma a signalé la présence de punaise de lit. Guidé par Lucie qui lui donne des ordres clairs (« seek Odin !») le chien va renifler chacun des fauteuils de la salle, et « marquer » ceux sur lesquels il sent une présence de punaise. L’ensemble de la détection va durer une bonne quarantaine de minutes, on les laisse donc bosser et on retourne au rez-de-chaussée.

A la caisse du cinéma, la machine à café chauffe en même temps que la machine à vapeur. Amadou et Jérôme sont employés de la société de nettoyage Acéni. Arrivés à 8h30, ils attendent qu’Odin ait fait son œuvre. Pierre-Yves André, responsable gestion technique chez mk2, distribue les cafés.

Depuis 2018 et les premiers cas de punaises de lit dans des cinémas mk2, il a suivi toutes les étapes : la panique du début et l’immense sentiment d’impuissance quand il fallait attendre parfois 2 semaines pour qu’une entreprise intervienne, les tâtonnements pour identifier les bonnes actions à mener. Les consultations avec un entomologiste, les essais jusqu’à trouver la meilleure méthode et le meilleur rythme.

Pour vérifier la présence de punaises de lit, rien de plus efficace qu’un chien dressé à la détection. Chez mk2, les chiens interviennent en prévention : il y a un roulement de détection canine dans toutes les salles. Mais aussi lorsqu’un client signale avoir vu une punaise en salle, ou pense avoir été piqué pendant une séance. Ensuite, pour éliminer les punaises, c’est l’action mécanique qu’il faut privilégier : le passage à la machine à vapeur chauffant à plus de 100 degrés, et la congélation pendant 4 jours à moins 30 degrés. mk2 a équipé tous ses cinémas de machines à vapeur et de congélateurs. Pour les chiens, la société fait appel à l’entreprise Eco-Flair – où travaillent donc Odin et sa maitresse Lucie.

Les voici justement qui redescendent. Lucie fait un rapide compte-rendu à Pierre-Yves avant de filer inspecter la salle 3 : en salle 2, le chien a marqué quelques sièges sur lesquels elle a collé un bout de scotch argenté. La procédure étant plutôt au trop qu’au pas assez, Lucie signalement systématiquement le siège marqué par le chien, mais aussi les sièges environnants. La machine à vapeur est chaude, Diallo et Jérôme aussi : ils gagnent à leur tour la salle 2 pour traiter les sièges marqués. Chaque siège est déboulonné, les accoudoirs, l’assise et le dossier sont méticuleusement passés à la vapeur puis enfermés dans des grands sac poubelles.

C’est un travail long, fait avec application. Ils inspectent aussi visuellement chaque élément : « C’est souvent frustrant, car on ne voit rien, aucune punaise. » En effet, on a beau écarquiller les yeux, on est loin de l’infestation : il y a sans doute une punaise puisqu’Odin l’a sentie, mais elle est bien planquée, et désormais surtout bien cramée par la vapeur. On assiste à l’opération pour 3 fauteuils ; durée : 20 minutes. Les sacs seront ensuite mis dans un congélateur, au sous-sol du cinéma. Et on installera en salle des sièges sains, gardés en stock.

On laisse Diallo et Jérôme patiemment œuvrer sur le reste de la salle 2, et on rejoint Odin et Lucie dans le hall du cinéma. Ils retourneront vérifier la salle 2 une fois que Diallo et Jérôme auront fini de la traiter mais en attendant, c’est l’heure des papouilles et du pop corn – malgré la vigilance de sa maitresse, le chien a réussi à en chiper un ou deux morceaux sous un siège. Odin vit avec Lucie en permanence, c’est « son » chien, mais il ne lui appartient pas : il appartient à la société Eco-Flair. Le chien n’est peut-être pas un dieu nordique, mais c’est un sacré expert : il a suivi un dressage d’environ 6 mois jusqu’à être en mesure, grâce à son flair de compet’, de repérer les punaises à n’importe quel stade (il y en a 7 en tout) de vie de l’insecte, de l’œuf à la punaise adulte, en passant par la larve. On se dit que ça doit être super rassurant d’avoir un chien formé à la détection de punaise à domicile. « Moui, après le soir quand on rentre je ne lui fais pas chercher des punaises, pour lui c’est beaucoup de concentration, c’est un travail, il faut aussi qu’il se repose », répond la jeune femme, tout sourire.

Elle a appris à travailler quotidiennement dans cet environnement très anxiogène pour beaucoup d’entre nous : « Les punaises de lit, il y en a en France depuis 10 ans. Le problème c’est que les gens ne sont pas informés. C’est comme les moustiques, il faut apprendre à vivre avec. » Est-ce qu’elle constate qu’il y en a plus depuis quelques mois et l’emballement médiatique sur le sujet ? « On a plus d’interventions car les gens nous appellent dès qu’ils voient le moindre insecte, mais non il n’y en a pas plus, il faut vraiment se calmer. » Elle qui est chaque jour sur le terrain dans des appartements, des hôtels, des lieux publics, n’en a jamais ramené chez elle.

Et elle sourit quand on lui demande si elle suit un protocole particulier à la fin d’une journée de boulot : « Ah non, je ne vais pas mettre mes vêtements au congel ce soir. Les punaises se planquent, elles ne vont pas me sauter dessus, ou grimper sur mes vêtements, ce sont des insectes qui ont peur du mouvement et de la lumière. » Après une dernière caresse à l’adorable Odin, il est temps pour nous de quitter le cinéma et de laisser tout le monde travailler – bientôt, les premiers spectateurs arriveront.