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OLDIES · Quatre docus fascinants sur JF. Kennedy à voir sur mk2 Curiosity

  • Jérôme Momcilovic
  • 2023-11-22

L’ensemble de ces quatre films pourrait s’appeler : “Deux Hommes sur la frontière”. Il ne s’agit pourtant pas de westerns. Mais "Primary" et les trois autres documentaires (disponibles sur la plateforme mk2 Curiosity) que Robert Drew a consacrés à l’aube du mandat de John Fitzgerald Kennedy sont, indéniablement, des films pionniers.

On ne saurait imaginer documentaire (en l’occurrence une série de quatre films) plus en phase avec son sujet. Quand Robert Drew, en 1961, un an après la réussite de Primary, choisit d’intituler le deuxième de ces films Adventures on the New Frontier, il a sûrement plus d’une aventure en tête. La plus évidente, c’est celle de son héros, à qui s’adresse ce titre malicieux qu’on croirait tiré d’un épisode de la série Davy Crockett : John Fitzgerald Kennedy, 43 ans, tout juste élu trente-cinquième président des États-Unis.

Pendant la campagne, dont Primary avait justement filmé les prémices, Kennedy avait désigné comme une « nouvelle frontière » l’horizon qui se dressait alors, au tout début des années 1960, face au prochain président des États-Unis. Manière de dire qu’il saurait, le moment venu, trouver le courage qui fut celui des pionniers de l’Amérique, et offrir à son pays une authentique renaissance. Consacrées aux tout premiers jours du jeune président à la Maison-Blanche, ces « aventures sur une nouvelle frontière » le prenaient ainsi au pied de la lettre.

“Filmer ! Filmer !”

Mais ce titre amical désigne aussi bien l’aventure que Robert Drew lui-même, à la tête de l’équipe qui filme Kennedy, mène sur le terrain du cinéma avec une semblable promesse de progrès. Lui aussi repousse une frontière : avec Primary, il offrait au cinéma documentaire un nouveau monde. Et lui aussi entend revenir aux origines – celles du premier rêve du cinéma, qui était de capturer la vie telle qu’en ellemême. Ce rêve moderne et ancien à la fois, un nom lui sera trouvé quelques années plus tard : on parlera de « cinéma direct ». Et paradoxalement, c’est la télévision qui l’aura rendu possible.

Faces de Robert Drew (c) mk2 Films

Revenons, donc, à Primary. Revenons même un peu plus loin encore, au milieu des années 1950, ces années électriques d’après-guerre où tout s’est accéléré d’un coup. En 1954, l’année de baptême du rock ’n’ roll, Richard Leacock, futur opérateur de Robert Drew, filme un concert de jazz à New York avec une caméra légère, et il a une révélation – « Filmer ! Filmer ! Filmer ! C’était la liberté. Au diable les trépieds ! Au diable les chariots et tout le reste ! On peut bouger ! » se rappellera-t-il plus tard. À la même époque, Robert Drew, brillant journaliste pour Life Magazine après avoir été un héros de guerre, se met en tête de réinventer le documentaire, ou du moins de lui rendre une liberté qu’avait empêchée jusqu’ici la lourdeur des moyens techniques.

Les nouveaux moyens d’enregistrement du son, la légèreté inédite des caméras (Robert Drew en fait fabriquer expressément de plus petites encore, qu’on peut porter à bout de bras), tout cela permet désormais de fendre la foule caméra au poing, d’être au milieu de la réalité comme un poisson dans l’eau, au plus près de la vie là où elle advient. Et précisément, le film qui va permettre à Robert Drew d’expérimenter sa méthode, Primary, implique de devoir fendre la foule. C’est la chronique d’une campagne politique : celle qui, dans l’État du Wisconsin, doit départager au sein de leur parti les deux candidats démocrates à l’élection présidentielle de 1960, Hubert Humphrey et JFK. 

24 heures chrono

Tourné en cinq jours par différents opérateurs dont Richard Leacock, Don Alan Pennebaker et Albert Maysles, qui réaliseront tous par la suite quelques chefs-d’œuvre du documentaire américain, Primary approche la vie politique – et la vie tout court – d’une manière inhabituelle, au plus près des visages, des corps, épousant leur rythme, se glissant dans leurs mouvements, ne perdant rien des détails (regards, gestes) sans qu’aucune narration off ne vienne les décrire pour nous. D’un côté, le candidat Hubert Humphrey, qui, fidèle à sa ligne populiste vieille école, sillonne les fermes et tape sur l’épaule des fermiers – au son d’une chanson de campagne qui, elle, pour le coup, est bel et bien inspirée de Davy Crockett. De l’autre côté, la photogénie de Kennedy, l’invention sous l’œil des caméras de l’équipe de Robert Drew de la communication politique moderne.

JFK dans Crisis de Robert Drew (c) mk2 Films

Refusé par les grandes chaînes américaines, le documentaire Primary voit sa diffusion restreinte à un réseau indépendant, mais marque vite les esprits – en France notamment, où il est acclamé comme une révolution. De son côté, Kennedy, sorti vainqueur des primaires puis de la présidentielle, convaincu et sûrement flatté par le film, ouvrira deux fois de plus les coulisses du pouvoir (du moins ce qu’il voulut en montrer) à l’équipe de Robert Drew : ce seront Adventures on the New Frontier, que nous évoquions plus haut, et l’admirable Crisis. Behind a presidential commitment (1963, sortie américaine).

Avec ce dernier, Drew veut montrer comment se résout une crise, comment se prend une décision au sommet de l’État. C’est un pur fantasme de journaliste : « Et si l’on pouvait remonter le temps et voir ce qu’il s’est passé à la Maison-Blanche pendant les vingt-quatre heures qui ont précédé la déclaration de guerre au Japon ? » songe-t-il. Ici, la crise se joue en Alabama, au sujet de deux jeunes étudiants noirs à qui le gouverneur, en dépit d’une promesse de la nouvelle administration fédérale, refuse l’entrée à l’université. Et devant ce montage virtuose qui fait s’entrelacer les points de vue (Bob Kennedy le procureur général, son adversaire le gouverneur, toutes sortes de conseillers et d’intermédiaires) avec la tension d’un thriller, on entrevoit comme jamais auparavant les mille et une ruses qui sont le moteur de la vie politique.

Jackie Kennedy dans Faces of November de Robert Drew (c) mk2 Films

Le dernier film, Faces of November (1964), clôt tragiquement un cycle qui était appelé à durer jusqu’à la fin du mandat du jeune président : c’est un film tourné pendant les obsèques de JFK. Considérés à soixante ans de distance, ces quatre documentaires ont plus d’une raison de fasciner. Minutieux documents d’époque, célébration d’un nouveau geste documentaire, capture sur le vif du théâtre social, ils racontent aussi cette concordance émouvante entre un jeune président et un jeune journaliste-cinéaste, unis par leur désir d’inventer l’avenir. Drew lui-même ne pouvait l’ignorer, qui refermait le deuxième volet de la série par un discret mais malicieux carton célébrant, en miroir des présidentielles « adventures on a new frontier », ses propres « adventures in reporting » appelées à marquer d’un sceau décisif l’histoire du cinéma. 

Primary de Robert Drew, disponible sur mk2 Curiosity du 23 au 29 novembre. Gratuit.

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