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« Good Time » de Josh et Bennie Safdie.

  • Jérôme Momcilovic
  • 2020-07-22

Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Geste inattendu d’un acteur, couleur d’un décor, drapé d’une jupe sous l’effet du vent : chaque mois, de film en film, nous partons en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches où s’engouffre l’émotion du spectateur. Ce mois-ci : Good Time de Josh et Bennie Safdie.

La vitesse trouve son chemin partout dans Good Time, jusque dans la lenteur. À mi-chemin, le film est à l’arrêt, et soudain ça accélère de l’intérieur, dans le récit qu’un type fait au sujet de la cavale insensée qui l’a conduit là, sur la banquette arrière d’une voiture avec la gueule tapissée de bosses et de plaies grotesques, enrubanné en momie ivrogne et par ce fait confondu avec un autre, par Connie, le héros du film, qui l’a kidnappé à l’hôpital en le prenant pour Nick, son frère.

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Depuis le début, la vitesse plane comme un vautour, prête à fondre sur la moindre promesse de quiétude. Ici elle s’enroule comme un serpent dans les mots de l’homme à la tête délabrée, qui est un personnage fantastique, comme tous les seconds rôles de Good Time. Le moindre « second rôle » y obéit à une règle tacite observée par Serge Daney voilà trente ans au sujet du Van Gogh de Maurice Pialat. Est réussi, disait-il, tout personnage dont on sentirait tout de suite qu’il n’a «pas que ça à faire». Autrement dit qu’il a une vie de part et d’autre de son apparition, dont on pourrait déduire un film entier. Entre deux apparitions, il a «pris l’air, pris des couleurs, pris le temps».

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Dans Good Time plusieurs ont pris, plutôt, des coups, on ne sait comment, et leurs gueules ravagées sont un moyen brillant de marquer sur eux l’empreinte d’une vie vécue. Quant aux autres, ils n’ont, au minimum, pas que ça à faire en effet : la vitesse de Connie est cernée par une somme de petites vitesses, rodant en nuée comme des moucherons. Pourtant, les trois plus importants « seconds rôles » du film sont aussi les plus lents, et même, les plus allergiques à la vitesse (c’est bien pour cela qu’ils sont les principaux seconds rôles, parce qu’ils donnent une dynamique au film en contrariant le marathon électrique de Connie). Il y a Nick, le frère, handicapé, accablé d’un tenace état de confusion ; une adolescente molle ; et Ray, donc, sur la banquette avec sa gueule cassée, qui raconte ses déboires insensés.

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Dans la course folle du film, son récit rocambolesque est un détail. Mais c’est aussi une double et formidable synthèse : du film, et du personnage. Du film dont il reproduit en miniature, comme un solo de jazz, la cadence et le sujet – une absurde cavale pour échapper aux flics, conclue sur une chute fatale. Du personnage, dont il résume le destin : il est fait pour tomber, littéralement. D’ailleurs, c’est lui qui tombe dans les deux cas, à la fin de son histoire, à la fin du film. Ce personnage merveilleux (et merveilleux acteur, Buddy Duress, qui a connu la prison avant le film et y est retourné depuis, indécrottable) est un cas flagrant d’allergie à l’accélération.

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Un personnage qui ne demande rien qu’un peu de calme pour se défoncer tranquille, et qui est pris, titubant, dans des bourrasques de vitesse, à cause d’une histoire de LSD ou d’un type qui le kidnappe en le prenant pour un autre. Personnage à idée fixe («I’m not going back to jail!»), courant comme un poulet sans tête, son grand corps secoué par la vie comme un chiffon et livré sans ménagement à son sort burlesque (tomber, jusqu’à tomber une fois de trop) : le plus authentique damné des films de l’époque.

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