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MICROSCOPE : des bras dans « Once Upon a Time In Hollywood » de Quentin Tarantino

  • Jérôme Momcilovic
  • 2023-02-07

Comme le diable, le cinéma se loge dans les détails. Geste inattendu d’un acteur, couleur d’un décor, drapé d’une jupe sous l’effet du vent : chaque mois, de film en film, nous partons en quête de ces événements minuscules qui sont autant de brèches où s’engouffre l’émotion du spectateur. Ce mois-ci : des bras libérés d’eux-mêmes dans « Once Upon a Time In Hollywood » de Quentin Tarantino.

Soudain de nouveaux bras lui poussent, à la place des siens. Des bras pour rien, pour les regarder, pour le plaisir d’avoir des bras : des bras qui flottent, ondoient, font la toupie, s’étirent et puis reviennent comme un yoyo. Et qu’il regarde avec stupéfaction comme si c’était ceux d’un autre. Voilà ce qu’il advient de Cliff Booth quand monte en son grand corps stoïque l’effet du LSD : d’autres bras que d’habitude.

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Car d’habitude ces bras sont sages, sages exactement comme Brandy, la chienne de Cliff qui regarde son maître se griser de ses gestes neufs et en paraît elle-même bien étonnée. La cigarette mouillée d’acide, achetée à une jeune hippie, libère les bras de Cliff de leur discipline qui est celle d’un autre âge. Dans Once Upon a Time… in Hollywood, Rick Dalton (Leonardo DiCaprio) n’est pas le seul, en effet, à porter le deuil d’une époque révolue. Cliff (Brad Pitt), qui lui est fidèle en toutes choses, l’accompagne aussi en cela : voilà deux corps anachroniques.

Mais le deuil pointe, pour chacun, vers une époque différente. La carrière que Rick n’a pas su avoir est celle d’un acteur hollywoodien des années 1950 : l’âge des corps bavards, shakespeariens, électriques, trempés d’émotions et de gestes en trop – celui de l’Actors Studio. Le charisme de Cliff puise à une source plus ancienne, et plus tranquille, qui vit des cascadeurs comme lui promis à prendre le devant de la scène : Gary Cooper par exemple, l’empereur de ce « strong, silent type » pleuré par Tony Soprano dans une série elle-même en deuil. Charisme des gestes économes, forts et silencieux. Autorité sereine des bras, qui n’existent nulle part entre la fonctionnalité pure (faire le coup de poing, étreindre une femme, éventuellement réparer une antenne) et le repos, tant il leur est inutile de jouer. C’est la clé de ce flegme érotique qui fut le blason d’un âge d’or (pour Hollywood, pour une idée révolue de la masculinité), et dont Brad Pitt retrouve malicieusement l’essence en en faisant le moins possible et en ralentissant le moindre geste : si le corps est spectaculaire en toutes occasions (réparer une antenne), c’est qu’il n’est jamais suspect de vouloir faire spectacle – la nonchalance est son luxe, gagné dans la pleine assurance de sa maîtrise.

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Face à Bruce Lee qui gesticule, face aux hippies fébriles, Cliff oppose son flegme comme un gag sensuel. Et avec Rick, bien sûr, il est à ce titre la moitié d’un duo rigoureusement burlesque – retenue contre dépense, maîtrise contre inquiétude, modestie suave contre orgueil moite. Or, de même que Rick n’est pas le seul à être frappé d’anachronisme, le film réserve à Cliff autant qu’à lui une belle occasion de se déprendre de soi. Pour Rick, l’acteur qui se regarde trop, l’épiphanie (superbe et largement commentée) a lieu à la toute fin du film. Un passage s’ouvre vers l’Olympe là où il n’y avait depuis le début qu’un cul-de-sac : timide comme un enfant, l’acteur has been grimpe modestement le reste de colline qui mène chez « le réalisateur de Rosemary’s Baby ». Pour Cliff, le cascadeur qui ne se regarde pas, un gag sorti d’une goutte de LSD (imagine-t-on John Wayne défoncé à l’acide ?), et quelques secondes de liberté conquises sur une vie de maîtrise virile, en regardant ses bras faire spectacle, pour une fois, et rien que pour lui.

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