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Michel Hazanavicius : « Tant que j’ai l’impression que c’est drôle, j’y vais »

  • Joséphine Leroy
  • 2022-05-09

On n’aurait pas pu rêver meilleur choix que « Coupez ! » pour lancer les festivités. Projeté en ouverture du Festival de Cannes, le nouvel Hazanavicius réunit une pléiade d’acteurs géniaux (Bérénice Bejo, Romain Duris, Matilda Lutz, Finnegan Oldfield…) pour raconter un tournage de film de zombies qui part en vrille dans un bâtiment désaffecté. Un hommage jouissif à un certain cinéma qui déborde et à la puissance du collectif qui prouve que le cinéaste, spécialiste du détournement, n’en finit pas de se renouveler.

Votre film fait l’ouverture de Cannes. Comment avez-vous accueilli la nouvelle ? 

J’étais assez surpris mais très content. J’étais déjà hyper heureux de revenir à une comédie, faite pour se marrer. Je n’avais pas fait ça depuis OSS 117. Rio ne répond plus [sorti en 2009, ndlr]. Et, dans le contexte actuel, avec la guerre en Ukraine, je sens que les gens sont assoiffés de comédies. On vit quand même des choses difficiles et, moi, ça me fait plaisir d’amener quelque chose qui permet de lâcher la pression. Et le Festival, c’est une fête, ça veut dire ça, quoi. J’ai hâte de montrer le film.

Dedans, on sent que vous exprimez tout votre amour pour les œuvres bancales, un cinéma de la débrouille, qui parfois se loupe, comme le font les séries Z. Il y a des œuvres dont vous trouvez la médiocrité belle ?

À l’époque où je travaillais pour Canal+ [Michel Hazanavicius a débuté en écrivant des sketchs pour Les Nuls, ndlr], donc au début des années 1990, on avait accès à des cassettes de films comme ça. J’ai adoré les films de catch mexicain avec Blue Demon [figure de la lucha libre, qui a été la vedette de films sortis entre les années 1960 et 1970, ndlr]. Après, c’est un peu toujours les mêmes plans de grotte, les mêmes costumes, les mêmes chorégraphies. Ce ne sont pas des grands films évidemment, mais il y a quelque chose de très sympathique là-dedans, une manière de faire les films ultra bricolée. Je ne sais pas vraiment où commence et où s’arrête la série Z, en fait. Pour moi, c’est tout aussi compliqué de faire un film réussi que de faire un film raté. On ne sait pas quand on est en train de foirer un film, mais c’est l’aventure humaine, même quand on accouche d’une bouse, qui peut être super belle.

Coupez ! va complètement dans ce sens. Il valorise le boulot des cadreurs, des régisseurs, des scénaristes ou des maquilleurs, tout un monde du cinéma invisibilisé, notamment les femmes. On pense au personnage de la camerawoman qui maîtrise l’un des plans les plus techniques du film.

Un plateau de cinéma, c’est une microsociété. C’est très hiérarchisé, il y a des ego surdimensionnés. J’aimais beaucoup l’idée que l’équipe soit composée de jeunes femmes qui assurent, qui cavalent partout. Je vais vous dire la phrase la plus con du monde, mais je suis évidemment pour plus d’équité et de justice. Une fois que j’ai dit ça, j’ai bien enfoncé des portes ouvertes. Mais, ce qui donne confiance, c’est que la nouvelle génération est très à fond sur ces questions. Si on parle de la révolution #MeToo et de tout ce qu’elle entraîne, je trouve ça super. Moi, pendant longtemps, j’ai été dans une forme de suivisme sur ces questions, je m’accommodais comme tout le monde de ne pas regarder ça à une échelle plus large de la société. Mais, oui, cette idée qu’on peut faire ensemble des choses m’est chère.

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Pendant la crise sanitaire, vous avez d’ailleurs défendu les droits des intermittents.

Oui, c’était pendant la réforme de l’assurance-­chômage, qui menaçait de taper sur les plus faibles [le gouvernement a appliqué dès le 1er octobre 2021 cette réforme qui durcit le calcul de l’allocation chômage, en indemnisant moins mais plus longtemps, ndlr]. On a besoin du collectif. Si je fais du cinéma, c’est parce que la génération d’avant – les Tavernier, les Costa-Gavras, les Corneau – s’est battue pour que le mode de financement du cinéma soit préservé. C’est quelque chose qu’il faut perpétuer.

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Techniquement, le film est impressionnant. Votre utilisation du plan-séquence notamment lui donne une énergie folle. C’était quoi, votre plus grand défi ?

C’était justement de réussir ce plan-­séquence qui est très long – il dure trente-deux minutes [c’est la séquence d’ouverture du film, ndlr]. Il y avait plein d’effets spéciaux mécaniques. Le but n’était pas de faire le meilleur plan-­séquence, mais le meilleur plan-séquence d’un film foiré. Donc de se mettre à la place de cette équipe qui ne voulait pas faire une comédie mais un film sérieux. Du coup, moi-même, j’étais dans une position où je devais laisser mon équipe gérer ce truc où, concrètement, il ne se passe rien. Et, le défi, c’était de conserver un intérêt dramatique pour le spectateur. Il fallait trouver comment régler la montée en puissance du film. Quand bien même c’était un plan-séquence, tout était storyboardé. Ça fait qu’il y a des rythmes hallucinants. La troisième partie du film, c’était aussi compliqué, parce que c’est comme la partie fantôme de ce qu’on a vu une heure avant. Et, moi, je donne des piqûres de rappel pour dire « on est là. » Ça peut passer par le son, les à-côtés du tournage, les changements de point de vue… J’ai essayé de faire un truc très ludique.

Comme dans beaucoup de vos comédies, vous flirtez avec le mauvais goût, l’obscénité, sans pour autant vous vautrer dedans. Quelles limites vous imposez-vous dans ces cas-là ?

C’est quelque chose d’instinctif. Je n’ai pas de limite du type « on ne peut pas parler de ci ou de ça ». Tant que j’ai l’impression que c’est drôle, j’y vais. Alors oui, dans ce film, il y a du vomi, de la diarrhée, de la bêtise crasse, certes. Mais, mon ambition, c’est que le spectateur se sente à l’aise. Et puis j’aime bien quand il y a plusieurs types de rires. Dans OSS 117, il y avait ce mélange de jeux de mots un peu pourris, de vannes politiques malaisantes, des trucs très enfantins… Là, effectivement, ce qui change, c’est qu’il y a trois parties distinctes : un côté très découpé, avec d’abord du pastiche ; puis quelque chose de plus mécanique, presque pièce de boulevard ; et ensuite ça court partout, ça trace.

Sur Internet, des gens fustigent le film sans même l’avoir vu, vous accusant parfois d’appropriation culturelle, puisque votre film est un remake de Ne coupez pas ! du Japonais Shinichirō Ueda, sorti en 2017.

Ah ouais ? J’ai arrêté les réseaux sociaux. Mais on m’a envoyé un tweet d’un gars, que j’ai adoré, un truc genre « on en parle de Bejo et de Duris qui ont carrément un prénom japonais ? ça ne choque personne ? vous trouvez ça normal ? ». Je trouve ça assez génial. Ça m’amuse, parce que j’assume totalement que c’est un remake. J’ai essayé de le faire mien, de jouer avec l’original, qui est un film d’étudiant, tourné hyper vite et avec zéro thune ; c’est un film miraculeux. Nous, on est forcément plus dans les clous. Mais je pense que certains se sentiront un peu cons en voyant le film.

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Pour vous, aujourd’hui, on peut encore tout dire et rire de tout ?

Ah oui. Je ne suis pas du tout d’accord avec l’idée qu’on ne puisse plus rien dire. Au contraire. Ceux qui le pensent le pensent parce que, quand ils disent une connerie, quelqu’un peut leur répondre. Ça dérange beaucoup ces personnes parce qu’elles n’ont pas l’habitude qu’on leur réponde. Il faut faire un peu plus gaffe à ce qu’on dit, oui, mais c’est très bien. Je pense par exemple que les premier et deuxième volets d’OSS 117 sont tout à fait faisables aujourd’hui, à condition de les faire un peu différemment. Les vannes, c’est une affaire de contexte.

Péter devant la famille d’Angleterre, c’est drôle [une référence à une rumeur qui circule dans les tabloïds britanniques et qui raconte que Joe Biden aurait eu des flatulences devant Camilla, la princesse de Galles, ndlr]. Mais péter au cinéma, c’est pas très marrant – bon, c’est peut-être pas le meilleur exemple, j’ai pas assez réfléchi, ne mettez pas cette citation en gros ! Pour Coupez !, j’ai aussi été confronté à ça. Il y a deux mois, le film s’appelait Z (comme Z). Je trouvais ça drôle, parce que ça ne voulait rien dire, c’était une espèce de tautologie absurde. Mais, à un moment donné, quand il y a une guerre absolument immonde qui se passe, que cette lettre est utilisée comme le symbole de l’agresseur [la lettre Z, inscrite sur les blindés russes en Ukraine, est devenue le symbole du soutien au Kremlin, ndlr] et que ça heurte des cinéastes qui me demandent de changer ce titre, je le fais, parce qu’il n’y a plus rien de drôle.

Quand on jette un œil à votre filmographie, on se dit que vous ne vous êtes jamais laissé enfermer ni dans un genre ni dans un système, que ça vous amuse même de le contourner. Et ce dès La Classe américaine. Le grand détournement (1993), qui a eu un parcours dingue. Est-ce qu’il faut filouter, troller pour réaliser de bons films, selon vous ?

Alors si j’avais la recette pour faire des bons films, d’abord je la garderais pour moi ! Je ne sais pas si je suis un filou, mais j’aime être en bout de table, disons. Ça fait que vous êtes là, mais qu’on vous fout la paix. Pour La Classe américaine, c’était quand même un film de Noël [une commande de Canal+ pour fêter les 70 ans de la Warner, avec pour règle une diffusion unique ; dans les années 2000, la copie d’une version numérisée a circulé sauvagement sur YouTube et le film est devenu culte, ndlr]. Il a été mis sous clé, puis il est ressorti par la bande.

Moi, je regarde son parcours de loin, et ça me fait très plaisir, parce que le film vit sa vie tout seul sans que vraiment personne ne s’en occupe, parce qu’il atteint des gens qui ont aussi bien 13 ans que 30 ans. C’est de la mauvaise herbe et c’est super. La chance que j’ai eue dans ma carrière, c’est qu’une fois que les deux OSS 117 ont bien marché et que The Artist a mis la tête à l’envers à tout le monde [sorti en 2011, il est devenu le film français qui a remporté le plus d’Oscars de toute l’histoire], on m’a laissé ma liberté ; et je me dis que j’ai beaucoup de chance, parce que ça fait que je ne me sens pas formaté.

Depuis Le Prince oublié (2020), on sent que ça vous tient à cœur d’écouter la jeunesse. Dans Coupez !, par exemple, le réalisateur expérimenté, campé par Romain Duris, est sauvé par sa fille, jouée par votre nièce Raïka Hazanavicius. Quels sont les jeunes cinéastes qui vous ont bluffé dernièrement ?

J’ai découvert La Colline d’où rugissent les lionnes de Luàna Bajrami et j’ai trouvé ça impressionnant. C’est génial de faire des films qui ont ce niveau d’ambition à cet âge-là. Et je ne dis pas ça parce que Luàna joue dans mon film ! J’ai adoré Teddy des frères Boukherma aussi. J’ai hyper hâte de découvrir leur prochain film. Chez les techniciens, il y a des gens très bien aussi. Non mais je crois qu’il y a une nouvelle génération de jeunes qui va me mettre au chômage.

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Coupez ! de Michel Hazanavicius, Pan (1 h 57), sortie le 17 mai

Photographie (c) Julien Liénard pour TROISCOULEURS
Images (c) Wild Bunch Distribution

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