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L'archive de Robin Campillo pour « L’Île rouge »
- Damien Leblanc
- 2023-05-27
Dans « L’Île rouge », Robin Campillo s’appuie sur ses souvenirs d’enfance dans une base militaire à Madagascar pour livrer un grand film politique et sensoriel. Le cinéaste nous a confié cette photo de lui, prise à la fin des années 1960 et reproduite à l’identique dans une séquence du film. Il la commente généreusement.
Robin Campillo : « J’ai fait ce film pour balayer ma nostalgie, pour la brûler »
Lire l'interview« J’ai habité à Madagascar de 1969 à 1971, juste avant la période qu’on voit dans le film. Et il y avait ce sentiment étrange qu’on était loin de la France mais qu’en même temps il fallait absolument s’y rattacher. Donc ce Noël était à la fois très français et très militaire. On voyait atterrir le Noratlas, un avion qui a beaucoup suivi la colonisation française, notamment en Afrique du Nord. Et le Père Noël sortait de cet avion, ce qui est quand même une idée curieuse. Il y avait tout le temps là-bas un côté enchanteur qui se mélangeait avec un côté martial. Et moi je voyais bien que le Père Noël était en fait un militaire, et que toute cette réalité qui se voulait rassurante, joyeuse et festive était toujours entachée d’un mystère. Je suis né au Maroc en 1962 et j’ai habité dans plusieurs anciennes colonies : le Maroc, l’Algérie après l’indépendance, puis Madagascar. Et cette volonté de se rattacher à la France était perceptible partout où on allait avec ma famille. Il faut aussi savoir qu’un petit garçon pouvait avoir deux sortes de cadeaux à Noël : soit une tenue de cow-boy, soit un Concorde électrique. Le Concorde, ça symbolisait évidemment la gloire de la France. Et moi je n’ai pas eu ce Concorde électrique, et j’en ai été très malheureux. Si je fais cette tête sur la photo, c’est parce que je suis mécontent de mon cadeau. On sent également sur mon visage une inquiétude. Je voulais bien jouer le jeu de ce Noël, qu’on voit d’ailleurs dans une séquence du film, mais je trouvais bizarre qu’un adulte se déguise ainsi et prenne une voix grave. D’autant que je ressentais à Madagascar un décalage permanent et que j’étais un peu paumé. J’étais certes assez joyeux là-bas, mais j’avais toujours l’impression que les gens surjouaient le bonheur ; un bonheur français, un bonheur d’expatriés. Cette base militaire était comme un village gaulois, il y avait un cinéma, des stades, des piscines, deux restaurants pour les officiers et les sous-officiers. Ce simulacre de France était incroyable. »
L’Île rouge de Robin Campillo, Memento, sortie le 31 mai