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Bong Joon-ho, à grande vitesse

  • Julien Dupuy
  • 2013-10-29

Comment avez-vous découvert la bande dessinée de Jacques Lob et de Jean-Marc Rochette dont est tiré votre film ?
Je suis un client assidu d’une petite librairie de Séoul qui est l’une des rares à proposer des œuvres occidentales alors que le marché coréen est monopolisé par les mangas et les manhwas. C’est là que j’ai découvert Le Transperceneige. Le style de la couverture se distinguait du tout-venant des étals, et j’ai tout de suite été saisi par le concept de cette humanité à l’agonie, captive d’un train condamné à rouler dans un monde éteint. Je dois également dire que je suis un inconditionnel des trains.

Pourquoi ?
J’aime filmer les lieux longs, étroits et sombres, comme le tunnel de Memories of Murder ou les égouts de The Host. Non seulement un train correspond à ce type d’espace, mais en plus il est mobile. Cela m’offrait de nombreuses possibilités cinématographiques que je voulais exploiter au maximum, comme lors du passage dans le tunnel, ou lorsque le train emprunte un virage. Pour un cinéaste, le décor d’un train induit une fascinante gestion de l’espace.

En même temps, un train vous contraint à ne travailler que sur l’horizontalité.
Oui, ce fut l’euphorie pendant un moment et puis, très vite, j’ai déchanté (rires). Avec mon directeur de la photographie, pour éviter la monotonie, nous avons choisi de tout miser sur le mouvement : le train bouge, nos protagonistes avancent en permanence, et la caméra n’est jamais statique. Ce credo fut parfois difficile à tenir, comme dans la scène de dialogue entre le personnage principal du film, Curtis (Chris Evans), et son mentor, Gilliam (John Hurt). C’est une scène posée entre deux personnages immobiles. Dans ce cas, nous avons travaillé sur le déplacement de la lumière dans le wagon : elle le parcourt de long en large et réinsuffle ainsi de l’énergie à l’image.

L’évolution de Curtis s’articule autour de deux longs plans qui se répondent : son dialogue avec Gilliam, au début du film, et celui avec Wilford (Ed Harris), à la fin.
Le Transperceneige est l’histoire d’une relation triangulaire entre Curtis et ses deux pères spirituels, Gilliam et le chef de cet ultime bastion de l’humanité, Wilford. Curtis est amené à regarder vers la tête du train lorsqu’il parle avec Gilliam, et vers la queue du train lors de son dialogue avec Wilford. Il est dans un anneau de Möbius : son parcours est infini, car les deux extrémités de son périple se rejoignent.

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C’est une façon de dire que Curtis n’est qu’un outil au service d’idéologues : il incarne une force motrice vide de sens.
Son mouvement n’a effectivement aucune issue puisque son corps et son esprit restent prisonniers du train, mais aussi du trauma généré par les conditions de vie qu’on lui a imposées. Curtis est un pur produit du monde qu’il aimerait changer.

Finalement, la seule figure révolutionnaire du film est celle de Namgoong Minsoo (Song Kang-ho).
Le film s’ouvre avec Curtis, mais se termine avec Namgoong Minsoo. Curtis avance de façon rectiligne ; Minsoo, lui, réfléchit à un déplacement alternatif. Lors de leur dialogue, à la fin, Curtis ne parle que du passé. Minsoo, pour sa part, réfléchit au futur. L’avenir appartient à ceux qui pensent en dehors des chemins balisés, même s’ils sont des parias, comme ce personnage.

Pourquoi avez-vous choisi un traitement distinct des deux classes sociales représentées dans Le Transperceneige – registre réaliste pour les pauvres, franche caricature pour les nantis ?
L’environnement de ces deux groupes participe de cette distinction. La frontière entre eux est marquée par les wagons de la serre et de l’aquarium. On passe alors d’un monde décrépi, très naturaliste, à des décors baroques. Or, les wagons des nantis, comme leurs passagers, ont un aspect factice : leur existence n’est qu’un mensonge, car tous sont prisonniers d’un appareil qui roule inéluctablement vers sa perte. Les pauvres se lamentent, eux se voilent la face.


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