- I.A. QUOI ?
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I.ARTISTE · Andrei Riabovitchev : « Dès qu’une part de créativité entre en jeu, l’I.A. ne suffit pas. »
- Julien Dupuy
- 2024-10-08
Après avoir débuté sa carrière dans sa Russie natale, Andrei Riabovitchev officie en tant que designer au Royaume-Uni où il enchaîne un nombre impressionnant de projets, en grande partie pour le cinéma, sur des films signés Steven Spielberg, Ridley Scott, Juan Antonio Bayona ou encore Greta Gerwig. Cette activité foisonnante ne l’empêche pas d’être un artiste prolifique, s’exprimant à part égale avec des outils traditionnels comme avec l’I.A. Il nous offre une vision unique de ces nouveaux outils.
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« Aujourd’hui, quand on travaille dans l’industrie du cinéma, nous, les designers, sommes autorisés à utiliser l’I.A., c’est même stipulé dans nos contrats. Et mon fils, qui est rentré en école d’art cette année, est encouragé par ses professeurs à tester les I.A. Ces technologies ne sont donc plus un problème et encore moins un tabou. Et c’est, à mes yeux, logique parce que l’I.A. est une source supplémentaire d’inspiration.
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Lire l'entretienLes critiques négatives que je reçois sur mon lien avec l’I.A. émanent de personnes qui pensent qu’il suffit de taper un prompt pour obtenir une image intéressante. Mais ça n’est pas le cas. En premier lieu, l’I.A. ne fait rien seule : quand bien même il suffirait d’appuyer sur un bouton, il faut encore un humain qui ait l’envie, la volonté d’appuyer sur ce bouton.
Plus concrètement, je produis avec l’I.A. des tonnes d’idées puis je fais appel à toute mon expérience, mon regard, ma sensibilité pour choisir un résultat prometteur. Et quand je déniche quelque chose qui me plait, je retravaille le résultat obtenu, principalement dans Photoshop. Enfin, vos interlocuteurs, qu’il s’agisse du réalisateur ou du chef décorateur, ne se satisfont que très rarement de vos propositions, et ils vous demandent des modifications, ce qui ajoute une touche supplémentaire de création manuelle.
Là où l’I.A. va avoir un impact sur l’industrie du cinéma, c’est sur les travaux les plus techniques de la conception d’un film. Par exemple, il fallait auparavant dessiner des masques à la main pour certains effets spéciaux visuels. C’était une tache rébarbative, souvent délocalisée en Inde. Aujourd’hui, c’est le genre de travail que l’I.A. peut produire très aisément. Mais dès qu’une part de créativité entre en jeu, l’I.A. seule ne peut pas, et ne pourra jamais suffire.
Il y a ensuite la question du droit d’auteur. Ainsi, je sais que des gens utilisent mon nom dans des prompts pour imiter mon style. L’artiste contemporain Marco Brambilla l’a même dit explicitement dans une interview [publiée dans Time, ndlr] dédiée à une installation qu’il a conçue, en partie par I.A., à la Sphere de Las Vegas. Si ce genre de chose me remplit d’humilité, en revanche je n’en suis pas du tout offensé. Ils peuvent s’inspirer de mon style, mais ils ne seront jamais moi : ils ne pourront jamais comprendre comment je fonctionne, comment je vois le monde. On ne peut pas me voler aussi facilement ma créativité. Par contre, on est bien entendu libre de s’inspirer de mon travail, avec ou sans I.A..
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Lire l'entretienL’I.A. me permet de créer en liberté, avec une certaine légèreté. Je travaille beaucoup et, par exemple, je prompte le soir, sur mon canapé, durant mes heures de repos. J’essaie alors des styles, des visuels sans grande conséquence, c’est-à-dire avec un investissement minime. À l’inverse, il est pour moi primordial de continuer à dessiner de façon traditionnelle, avec des crayons et un morceau de papier, d’autant plus que depuis que je travaille pour le cinéma live, je suis principalement devant un ordinateur. Or, l’expérience de dessiner de façon traditionnelle est très différente, elle relève de la méditation.
Ce qui me fait très peur avec l’I.A., c’est que nous allons être vite confrontés aux limites de notre cerveau. Je ne sais pas jusqu’où l’I.A. va pouvoir nous pousser, physiologiquement parlant. Par exemple, si vous devez vous mettre à courir parce qu’un chien vous poursuit, vous allez pouvoir accélérer votre rythme, mais uniquement jusqu’à un certain point. C’est la même chose avec les I.A., j’ai même déjà vécu ça en partie. Quand elles se sont mises à être très performantes, je me suis plongé dedans sans restriction. Mais c’était trop, je ne pouvais plus suivre et il a fallu que je régule mon utilisation des générateurs.
Pour terminer, je dirais ceci à tous les gens qui redoutent l’arrivée de l’I.A. : je travaille dans une industrie où les places sont chères. Et à chaque fois que je rencontre des étudiants, je leur rappelle que, même à l’ère de l’I.A., vous devez être un excellent artiste pour espérer percer. C’était vrai hier, ça reste vrai aujourd’hui et ce sera encore le cas demain. »