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I.A. QUOI ? · Lost in Translation

  • Julien Dupuys
  • 2023-09-22

L’édito de Julien Dupuy. La vidéo de démonstration de HeyGen qui a débarqué sur le net ces derniers jours est époustouflante : on y voit un internaute alterner entre anglais, français et allemand, alors qu’il ne parle pas un mot de ces deux dernières langues.

Cette démonstration de performance des I.A. fait suite à quantité de vidéos qui, depuis le début de l’année, annoncent l’arrivée imminente d’outils dérivés des technologies du DeepFake et permettant de doubler un comédien dans toutes les langues, en conservant sa voix mais aussi en modifiant sa bouche en fonction des nouvelles labiales prononcées.

Cette prouesse technologique peut légitimement choquer : parce qu’elle modifie leur voix et leur visage, donc par extension leur performance, elle est une indéniable ingérence sur le jeu des comédiens. Mais il ne faudrait pas oublier que l’exploitation d’une production audiovisuelle dans différentes langues entraine des problématiques insolubles qui ont, de tout temps, imposé le recours à des pis-aller. Les sous-titres sont une ingérence sur l’image mais aussi une distraction constante, même pour l’œil alerte d’un lecteur aguerri. La traduction des sous-titres impose aussi des raccourcis ou des omissions. Et outre qu’il entraine bien souvent la perte d’une piste son entière, le doublage transforme de façon colossale le jeu des comédiens. Dans ce cadre, le recours aux I.A. n’est certainement pas la pire des solutions à condition, évidemment, que leurs performances soient irréprochables et leur exploitation légale.

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Reste, bien évidemment, le risque d’extinction d’un pan entier d’un secteur de l’industrie : traducteurs, directeurs artistiques et, bien entendu, comédiens sont directement menacés par ces innovations. Et la disparition des métiers liés au monde du doublage entraine, dans certains cas, la perte d’un potentiel apport créatif aux films. Certains acteurs de doublage ont en effet sublimé le travail des comédiens qu’ils doublent. Le regretté Patrick Poivey, par exemple, a su magnifier la malice moqueuse de Bruce Willis, en particulier sur la saga des Piège de cristal. Et Alain Dorval a énormément contribué à l’image que les spectateurs français se font de Sylvester Stallone.

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Et puis, plusieurs cinéastes ont embrassé ces contraintes pour en tirer le meilleur. Ce fut le cas, par exemple, de Robert Zemeckis qui ne cacha pas son admiration pour le travail du comédien Luq Hamet, interprète de Marty pour la version française de Retour vers le Futur. À tel point que le cinéaste qui, pourtant, ne parle ni ne comprend le français, imposa Hamet pour jouer le lapin trouillard dans la version française de Qui veut la peau de Roger Rabbit ? On peut aussi rappeler le travail de Sergio Leone sur les versions italiennes et françaises de ses westerns : faute de prise de son direct, ses films étaient entièrement doublés lors de cessions supervisées par le cinéaste polyglotte. Et il est à ce titre indéniable que le comédien Jacques Deschamps, qui doublait Clint Eastwood dans le rôle de l’Homme sans nom, ajoutait une distance ironique, quelque fois même cynique, au jeu plus monolithique de la star américaine. Le doublage par I.A. sera certainement modulable, mais utilisé à l’excès il risque d’entrainer la perte d’une touche artistique supplémentaire à certains films.

Bonus : Sergio Leone dirige le comédien Jean-Pierre Duclos lors du doublage français de Il était une fois la révolution.

Patrick Poivey parle de son travail dans cette archive INA, avec des mots très durs : « Ce qui compte c’est l’acteur qui est à l’écran, le doublage c’est un ersatz. On se rapproche de ce qu’il y a dans l’original mais on abime l’original. »

I.A. PLAYLIST

- Dans cet étonnant court métrage documentaire, le réalisateur russe Nikita Diakur brave sa peur du saut périlleux arrière en entrainant son propre avatar à accomplir cette prouesse physique.

- Le film Joker de Todd Philipps a désormais sa version tricolore (en France, et en français dans le texte, donc).

- Nick St. Pierre a conçu, avec l’aide de Midjourney et de Runway, le vieillissement d’un personnage numérique, de son enfance à ses cent ans.

- ET artist recrée en Pixel Art des scènes, souvent très violentes, de films de Brian de Palma, Oliver Stone et Martin Scorsese.

I.ARTISTE

Justin Hackney et les échos du futur

Justin Hackney a débuté sa carrière en jouant les zombies pour Danny Boyle dans 28 jours plus tard et l’une des créatures de The Descent. Aujourd’hui réalisateur de publicités, de documentaires et de clips (on vous conseille notamment le clip de My Radio de Che Lingo), cet artiste basé à Londres ne cache pas son enthousiasme pour l’émergence des I.A. qui lui ont permis de créer le très beau court-métrage The Carnival of the Ages.

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« J’ai touché à beaucoup de médias différents : outre les clips, les pubs et les documentaires, j’ai participé à des installations vidéos ou à des expériences interactives. L’I.A. n’est donc qu’une extension de ce que je fais depuis dix ans. C’est un développement technologique extrêmement excitant qui va avoir un impact monumental sur notre industrie. Nous sommes d’ailleurs en train de réunir une grande communauté de créatifs qui exploitent ces outils : RealDreams. Aujourd’hui, je me concentre donc sur la création d’œuvres à l’aide des I.A. et j’essaie de trouver comment intégrer ces outils à un processus de production plus classique.

Depuis que je suis un enfant, j’ai un énorme point d’interrogation au dessus de ma tête qui vient, probablement, de mon amour pour La Quatrième Dimension, Matrix ou certains jeux vidéo. Je sais que notre mode de vie est amené à changer de façon drastique. Mais je ne sais pas comment. J’ai l’impression que l’I.A. est enfin en mesure de m’apporter des réponses, qu’elles annoncent ce grand chambardement que l’on a tous attendu ou redouté. C’est incroyable de vivre cette période.

The Carnival of Ages est en quelque sorte le reflet de toutes ces réflexions : ce parc d’attraction rétro futuriste, qui peut évoquer sur certains points La Quatrième Dimension, raconte mon histoire avec les I.A. C’est un voyage dans un monde nouveau, plein de possibilités. C’est aussi un rêve éveillé qui, parfois, s’apparente à des souvenirs partiellement effacés.

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J’assume aussi le caractère un peu cauchemardesque de The Carnival of Ages : il y a, dans les I.A., quelque chose qui nous effraie tous. La nouveauté ou le fait de ressentir des émotions face à la production de ces générateurs d’image angoissent. Mais je crois qu’il y a aussi l’idée sous-jacente que nous pourrions être seuls dans ces rêveries numériques qu’il sera, bientôt, impossible de distinguer de notre réalité. Et si j’assume ce caractère malaisant, c’est aussi pour faire réagir les spectateurs et, je l’espère, initier une discussion sur ce qui est en train de se dérouler devant nos yeux.

Il m’a fallu un peu de temps pour comprendre ces nouveaux outils et tout ce qu’ils allaient impliquer. Aujourd’hui, je ne suis en rien effrayé par les I.A. Je pense, au contraire, que c’est la meilleure chose qui puisse nous arriver. Ce qui me fait peur à l’inverse, c’est la réaction de certaines personnes aux I.A. : nous sommes beaucoup trop gouvernés par la peur. Et c’est une mauvaise conseillère. Tous ce que l’on reproche aux I.A. n’est pas inhérent aux I.A. mais à ce qui se passe dans le monde, dans nos systèmes humains. Évidemment, elles peuvent accélérer notre chute si on n’y prend garde. Mais c’est le cas de tous les nouveaux outils. Si les gens embrassent les I.A., comprennent qu’elles peuvent redonner un sens à nos systèmes, nos vies seront certainement améliorées. Ce que nous voulons, ce que nous attendons, ça n’est pas une évolution. C’est une renaissance. »

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