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I.A. QUOI ? · Le bout du tunnel ?

  • Julien Dupuy
  • 2023-09-28

L’édito de Julien Dupuy. À Hollywood, la grève des acteurs et des scénaristes vient – enfin ! - de déboucher sur des accords après 146 jours de combat. Et il est d’ores et déjà évident que ces accords seront scrutés par le monde entier et notamment par le Royaume-Uni qui, on le sait moins, a aussi connu une vague de grèves ces derniers mois.

Les artistes britanniques se sont en effet émus de l’exploitation des deepfakes dans la sitcom Deep Fake Neighbour Wars mais aussi dans le documentaire de la BBC Two, I'm an Alcoholic : Inside Recovery. Or, aux dernières nouvelles, ITV, le diffuseur de Deep Fake Neighbour Wars, serait en bonne voie pour signer des mesures très contraignantes sur  l’exploitation des I.A. La France doit, pour le moment, se contenter des propositions émises fin août par la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques).

Outre-Atlantique, d’autres artistes se mobilisent. Ainsi, ces derniers jours, dix-sept romanciers américains, parmi lesquels George R.R. Martin, Jodi Picoult ou encore John Grisham, ont mené devant les tribunaux OpenAI, propriétaire de ChatGPT. Les écrivains accusent le ChatBot, autrement dit l’outil qui ratisse tout Internet pour nourrir le générateur de texte, de piocher dans leurs œuvres sans leur autorisation et sans leur proposer une rémunération. Martin argue notamment que ChatGPT est capable d’émuler son style ou de fournir des biographies complètes des personnages de sa saga Game of Thrones avec une quantité de détails folle, directement empruntée à sa monumentale saga d’heroïc fantasy. La frontière, toujours ténue, entre inspiration et plagiat semble bien franchie.

En attendant le verdict de ce procès, qui pourrait créer une jurisprudence, une décision importante a été prise aux États-Unis en août dernier. L’informaticien Stephen Thaler a en effet tenté de déposer un copyright sur une œuvre créée par une I.A. et intitulée A Recent Entrance to Paradise. Or, la juge fédérale Beryl Howell a rebuté sa demande, arguant que le droit d’auteur ne pouvait « protéger les œuvres générées par de nouvelles formes de technologie fonctionnant en l'absence de toute action humaine ». La formule pose néanmoins question, puisque l’œuvre de Thaler a bien nécessité le recours à un humain pour écrire le code permettant la formation de l’image. Et c’est également un humain qui a initié cette création, quand bien même il ne l’a pas conçue. Si elle a rassuré bien des artistes, la décision de la Juge Howell rappelle aussi la complexité de cerner et d’encadrer les nouveaux paradigmes des I.A.

I.A. PLAYLIST

 

YouTube s’empare des I.A. en mettant à disposition des créateurs le « Dream Screen », un décor virtuel généré automatiquement et qui peut, par exemple, servir de fond pour des « shorts ». Autre nouveauté reposant sur les I.A. : un champ de recherche qui proposera aux créateurs des idées de contenu pour augmenter leurs audiences. Enfin, YouTube va offrir la possibilité de concevoir un doublage automatique avec « Aloud », pour permettre aux vidéastes d’exploiter leur contenu dans des langues étrangères. Quelques détails sur ce fil X.

Vous pouvez désormais mixer les émoticônes pour en créer de nouvelles grâce à cet outil disponible en ligne.

Grâce à d’habiles retouches numériques, Mr Blobby, équivalent anglais de notre Casimir national, affronte l’équipe des Avengers !

Star du net et ancien artisan des effets spéciaux (il a conçu une partie des maquettes de La Menace Fantôme), Adam Savage partage son point de vue, plutôt très négatif, sur l’émergence des I.A. : « Ce qui rend les efforts humains intéressant relève du point de vue. Et une œuvre d’art est le partage d’un point de vue (…). Or, j’ai encore du mal à me dire que les I.A. sont capables de simuler un point de vue. »

I.ARTISTE

Réalisateur, scénariste et romancier, Vincent Ravalec a créé avec ses deux enfants, Benjamin et Amélie, la société Circle Time Studio dédiée, en partie, à l’exploitation des I.A. Nous reviendrons très prochainement sur le fascinant travail d’Amélie Ravalec. Mais c’est le père et le fils qui ouvrent le bal, en racontant leur rapport aux I.A. et leur collaboration sur une édition illustrée du livre Jésus de Jean-Christian Petifils, disponible depuis le 4 octobre.

Vincent Ravalec : « J’ai toujours été très curieux des nouveaux médias. J’ai fait l’une des premières séries web interactive avec Arte en 2010, Addicts. Et avec mon fils Benjamin, qui travaille pour sa part dans les effets spéciaux, nous nous sommes lancés dans la Réalité Virtuelle très tôt, avec le long-métrage Fan Club interprété par Sylvie Testud. Je rapprocherais l’émergence des I.A. de l’arrivée de la photographie à la fin du XIXe siècle : cette innovation a mis au chômage une partie des peintres naturalistes qui gagnaient leur vie en faisant des portraits de la grande bourgeoisie. Or, même s’il suffisait déjà d’appuyer sur un bouton pour avoir un résultat, tous les photographes ne sont pas au niveau de Cartier-Bresson. Et puis la photographie a aussi accéléré l’émergence d’une nouvelle peinture moins assujettie au réel. »

Benjamin Ravalec : « En dehors de mes collaborations avec mon père, j’ai fait beaucoup d’effets spéciaux chez Fix ou Première Heure. Depuis quatre ans, je m’intéresse à toutes les nouvelles technologies de temps réel, comme Unreal Engines. Les I.A. se sont intégrés logiquement à mes centres d’intérêt. »

V.R. : « J’ai fait un test dernièrement en demandant à ChatGPT d’écrire un texte "à la Vincent Ravalec" : très honnêtement, c’était ridicule ! Par contre, en tant qu’écrivain, je me sers parfois de ChatGPT comme d’un "sparring partner", un collaborateur. Mais ça n’est finalement pas très éloigné de ce que l’on pouvait déjà faire avec des moteurs de recherche. Par contre, je trouve qu’il y a une sorte de relation unique qui se créé avec l’I.A. Si un matin on n’est pas en forme, on peut avoir la sensation que l’I.A. n’est pas bien non plus. Évidemment, c’est une projection anthropomorphique, mais ce rapport reste surprenant. »

B. R. : « Il est certains que les I.A. vont automatiser une partie des taches faites en posproduction. C’est déjà le cas dans certaines sociétés. Mais déjà, je pense qu’il faut savoir maîtriser ces nouveaux outils qui, quoique l’on pense, vont tout bouleverser. Et surtout je pense que les I.A. vont permettre d’améliorer la qualité de notre travail : nous allons être moins accaparés par des taches subalternes et ingrates, nous allons pouvoir nous concentrer sur l’essentiel. »

V.R. : « Je suis depuis peu éditeur chez Fayard et l’un des premiers projets que j’ai chapeauté est une adaptation de Jésus, une imposante biographie signée par l’historien Jean-Christian Petifils. On avait envie d’ouvrir ce roman à un autre public, plus jeune notamment. Donc nous avons fait un gros travail sur le texte pour nous concentrer sur sa trame narrative et nous l’avons accompagné de très nombreuses illustrations : elles proposent une immersion graphique dans ce récit que l’on peut appréhender comme un péplum. C’est grandiose et d’une violence inouïe. Benjamin s’est chargé, seul, de ces illustrations. »

B. R. : « On a essayé de plonger le spectateur dans cette époque de façon si ce n’est réaliste, du moins crédible un peu comme dans la série HBO Rome. J’ai utilisé Midjourney avec des retouches sur Photoshop : je nettoyais certaines images et redessinais une partie des dessins. Et puis, en fonction de ce que nous obtenions avec le générateur, nous modifions le découpage entre chaque dessin ou nous ajoutions des images… C’est un travail très particulier, très stimulant. Nous avons passé presque quatre mois à créer toutes les illustrations : il y en a environ 600 au final, sachant que l’auteur du roman en a retoqué un certain nombre lorsque nous étions trop loin de la réalité historique. Aucun dessinateur n’aurait pu produire une telle quantité de travail en si peu de temps. Autrement dit, le projet n’aurait pas vu le jour dans un processus de travail classique, ça n’aurait pas été rentable. C’est aussi en cela que les I.A. peuvent être bénéfiques. »

V.R. : « Et il est intéressant de noter qu’en parallèle de ce livre, nous avons lancé un autre ouvrage illustré chez Fayard Graphique [Le Théorème du Vaquita, par Vincent Ravalec et Hugo Clément et dessiné par Dominique Mermoux, ndlr] qui, pour le coup, était conçu de façon traditionnelle par un dessinateur au style tout à fait particulier. Or, sa patte, son imagination, n’auraient absolument pas pu être créés par un générateur d’images. »

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