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I.A. QUOI ? · Du neuf avec du vieux

  • Julien Dupuy
  • 2023-10-20

L’édito de Julien Dupuy. Alors que se termine, à Lyon, la 15e édition du Festival Lumière consacré au cinéma de patrimoine, il est intéressant de se pencher sur l’impact des I.A. dans la restauration d’archives et, notamment, de films.

Depuis le début des années 1990, des logiciels permettent en effet d’optimiser une vieille image en réduisant le grain de la pellicule, en corrigeant des teintes passées ou tout simplement en réparant un photogramme abimé.

Sueurs Froides d’Alfred Hitchcock avait, par exemple, bénéficié d’une restauration ahurissante en 1996, assurée par James C. Katz et Robert A. Harris, grâce à un budget d’un million de dollars. Le duo avait effectué un travail similaire sur My Fair Lady de George Cukor. Mais le potentiel des I.A. a ouvert ces dernières années de nouvelles possibilités, et de nouveaux débats.

Il est en effet désormais possible de cloner une voix d’acteur pour restaurer des portions manquantes de la bande-son. On peut aussi ajouter des images à un film existant pour, par exemple, rendre les mouvements plus fluides. On peut, enfin, coloriser des films en noir et blanc avec une finesse confondante. C’est ce qu’avait fait le réalisateur néo-zélandais Peter Jackson, avec sa société de postproduction Park Road Post, pour son documentaire Pour les soldats tombés, en 2019.

Ce montage d’images d’archives de la Première Guerre mondiale, agrémentées des témoignages audio de plus de 200 vétérans, optait pour un usage extrême de la restauration. Le film était colorisé, sonorisé, recadré et converti en 3D. Mais surtout, Jackson avait passé ces archives de 14 images par seconde à 24 images par seconde, en créant de nouveaux photogrammes intermédiaires : les mouvements se trouvaient alors fluidifiés.

Le résultat était saisissant : cette restauration semblait arracher ces images du passé pour créer un fascinant sentiment de proximité. Reste que ce travail pose question : quand bien même Jackson assume avoir apposé son regard d’auteur sur ces archives, l’intégrité du matériau d’origine a été largement bafoué.

Et cette question est encore plus épineuse dans le cadre de la restauration d’une création artistique. Par exemple, le travail assuré par Serge Bromberg et ses équipes sur Le Voyage dans la Lune en 2011, grâce à de nombreuses retouches numériques, n’avait pas reçu la caution de Jacques Malthête, arrière-petit fils de Georges Méliès. Selon lui, certains points de collure, témoins du travail de montage du cinéaste, avaient été effacés, le film très légèrement recadré et surtout l’image stabilisée. Or, si le film récupéré par Bromberg était certainement moins stable que les copies qui circulaient lors des premières exploitations du film en 1902, il est aussi probable que Le Voyage dans la Lune n’a jamais été aussi « propre » que dans cette nouvelle version.

Si la question de la restauration a donc toujours été épineuse, les I.A. nous mettent au pied du mur. Et si l’on s’abstiendra de trancher dans ce débat passionnant (et passionnel), on rappellera deux choses. Déjà que les traces du passage du temps sont les témoignages d’une époque, du matériel exploité à l’époque et des conditions de tournage. Mais surtout que le cinéma, comme l’avait déclaré l’historien de l’art Walter Benjamin, est né pendant une « ère de la reproductibilité technique » et qu’un film en pellicule a autant de vies que ses projections, ses copies, mais aussi ses restaurations.

Bonus : Le Russe Denis Shiryaev a rajeuni le film L'Arrivée d'un train en gare de La Ciotat ici présenté en 4K et en 60 images par seconde. « Certains estiment que regarder mes vidéos revient à voyager dans le temps », a-t-il déclaré dans une interview au magazine Wired.

Bonus (bis) : AVCLabs est un outil grand public exploitant l’I.A. pour proposer une restauration extrême de vieilles photos et vidéos.

I.A. PLAYLIST

L’App Simulon permet d’ajouter, en temps réel, un objet créé en image de synthèse 3D dans son environnement. Le résultat, notamment dans l’interaction entre l’objet et la lumière, est stupéfiant.

Un Muppet qui semble directement tiré du bestiaire de Jim Henson. Sauf que cette marionnette a été intégralement créée en 3D !

Paul Trillo, réalisateur de Thank You For Not Answering, a donné une hilarante conférence sur des « mystères » du Louvre révélés grâce aux I.A. et à son imagination.

I.ARTISTE

Le Hollandais œuvrant sous le pseudonyme Ricks Film Restoration est une des figures de proue d’une nouvelle tendance sur YouTube : depuis quelques mois, des vidéastes donnent un nouveau visage, voire une nouvelle jeunesse, à des archives anciennes. Travaillant seul, à partir de logiciels grand public, Ricks Film Restoration revient pour nous sur ses motivations et sa philosophie.

« Je travaille entièrement seul, et si je tiens à garder l’anonymat c’est que certaines vidéos, en particulier celles de Londres durant la Seconde Guerre mondiale, ont provoqué des réactions très négatives sur les réseaux. Il y a beaucoup de gens formidables sur YouTube, mais il y a aussi des personnes malveillantes.

J’ai commencé ce travail en restaurant mes vieilles vidéos de vacances qui dataient de plus de vingt ans. J’ai ensuite éprouvé ce savoir-faire sur des vieilles archives historiques en noir et blanc et me suis pris de passion pour ce nouvel hobby. Ce que j’aime particulièrement, c’est de pousser à l’extrême la qualité de l’image et des couleurs pour ramener ces archives dans le 21e siècle. Mon but est aussi d’aider les jeunes à mieux comprendre l'histoire, de leur exposer le passé avec des images qui leur parlent. Malheureusement, seuls 0,3 % de mes spectateurs ont entre 13 et 17 ans, et 2,8 % entre 18 et 25 ans. Par contre, plus de 60 % ont 50 ans ou plus.

Mes méthodes sont relativement simples, je les explique d’ailleurs par le détail sur deux vidéos [ici et ici, ndlr]. Et je constate que mon travail a été considérablement facilité et amélioré ces derniers mois grâce aux I.A. Elles peuvent donner des résultats qui sont trop parfaits voire parfois peu crédibles. Mais en dehors de cela, je trouve ces outils remarquables. Par ailleurs, j’assume totalement de retravailler la fluidité des mouvements ou de coloriser les images. Après tout, l’Histoire n’a jamais été vécue en noir et blanc ou avec des mouvements saccadés. Parmi mes projets, je travaille sur une vidéo qui montre les Pays Bas durant ma jeunesse, dans les années 1950-60. »

Image principale : Obsessed with Vertigo de Harrison Engle (documentaire de 1997 sur la restauration de Sueurs froides d'Alfred Hitchcock)

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