- I.A. QUOI ?
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I.A. QUOI ? · Jeux de manipulation
- Julien Dupuy
- 2024-01-12
L’édito de Julien Dupuy. L’expérience de l’université de Beijing promet d’aboutir à l’un des outils I.A. les plus troublants dans la manipulation de visages humains. GMTalker propose en effet de retoucher des portraits vidéos pour modifier la ligne de regard, effacer ou ajouter des clignements d’yeux mais aussi et surtout faire évoluer des émotions avec l’intensité souhaitée.
On peut ainsi, à partir de la même captation d’un visage humain, faire passer un modèle d’une joie extatique à une moue bienheureuse, de la contrariété à la crise de larmes. À plus ou moins long terme, on peut donc supposer qu’un réalisateur et son monteur seront capables, en postproduction, d’affiner voire de changer radicalement les performances accomplies par leurs comédiens sur le plateau (exemples ici).
Si un tel outil venait à être adopté par les cinéastes, on imagine facilement qu’il rencontre un accueil méfiant de la part des acteurs. Et après tout, comment pourrait-il en être autrement : c’est sur leur jeu, leurs mimiques pour tout dire leur émulation de sentiments que repose le cœur même de leur corps de métier. Et on sait déjà qu’un acteur comme Keanu Reeves, par exemple, impose contractuellement depuis quelques années qu’aucune manipulation numérique ne vienne modifier son jeu en postproduction, comme le rapporte cet article d’Entertainment Weekly.
Mais un tel outil est-il réellement un changement de paradigme radical dans la création audiovisuelle ou juste une évolution finalement logique des technologies à la disposition des cinéastes ? Ainsi, il est intéressant de rappeler que, depuis le début des années 1990, le numérique a couramment été exploité pour modifier en postproduction le jeu des comédiens. Dans A.I. par exemple, ILM avait, à la demande de Steven Spielberg, effacé les clignements d’yeux du jeune Haley Joel Osment, interprète de l’androïde David.
Plus expérimental encore, en 1997 Robert Zemeckis avait, lors du voyage spatial de Contact, fusionné numériquement plusieurs expressions de Jodie Foster pour mieux dépeindre le trouble émotionnel extrême de son personnage, alors qu’elle est propulsée à des années lumières de la Terre.
Mais nous pourrions tout simplement rappeler qu’étalonner, mettre en musique, bruiter ou tout simplement monter la performance d’un acteur revient, in fine, à la manipuler, parfois même en trahissant les intentions du comédien. C’est, après tout, le projet de l’Effet Koulechov qui, dans les années 1920, et par un simple effet de champ contre champ, offrait une lecture radicalement différente de la même interprétation de l’acteur Ivan Mosjoukine. En bref, il faut rappeler que le cinéma est aussi intrinsèquement un art de la manipulation, que ce soit avec ou sans les I.A.
EN +
L’effet Koulechov expliqué par et avec Alfred Hitchcock.
L’effet Koulechov revisité dans cette excellente vidéo du Monde à partir, ironiquement, d’un visage impavide de Keanu Reeves.
I.A. PLAYLIST
Pour faire suite à notre édito lié à l’assistance des I.A. aux artistes en situation de handicap, signalons le nouvel outil mis au point par Yamaha. La société japonaise a en effet créé le « Anyone Piano », capable d’assister des artistes, en l’occurrence un musicien souffrant de myopathie. Un premier concert a été donné en Noël dernier.
Un journaliste du Wall Street Journal conçoit sa propre doublure numérique, assurée par la célèbre agence artistique américaine, CAA.
Lee Unkrich, l’exégète de Shining et génial réalisateur de Toy Story 3 et Coco, se lance sur Midjourney (voir sur Instagram).
Le talentueux artiste numérique français MBG Core (pour Motion Blaster Graphics) vient de proposer une nouvelle courte vidéo avec un double numérique étonnant de réalisme accomplissant des prouesses physiques à l’orée du surnaturel.