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I.A. QUOI ? · Gadgets, outils ou dangers ?

  • Julien Dupuy
  • 2023-07-26

L’édito de Julien Dupuy. En pleine grève des scénaristes à Hollywood, une petite compagnie a testé un Showrunner virtuel, basé sur l’exploitation de plusieurs I.A. De quoi alimenter le débat qui oppose actuellement Hollywood aux compagnies de production américaines.

L’expérience de la startup franciscanaise Fable devrait susciter le débat en pleine grève des scénaristes à Hollywood. Cette petite compagnie a en effet testé un Showrunner virtuel, basé sur l’exploitation de plusieurs I.A. et capable de concevoir de nouveaux épisodes de franchises déjà établies. À titre d’expérimentation, Fable a diffusé un épisode complet de South Park intégralement conçu par simulateurs. Le résultat est à la fois d’une platitude absolue et d’une finition troublante. Selon Fable, leur expérience vise à proposer aux propriétaires de ces franchises un nouveau type de produits : des épisodes à générer soi-même, selon ses propres envies.

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Dans un temps proche, vous pourriez ainsi réécrire le final de Games of Thrones, ou admirer votre avatar arpenter le monde post apocalyptique de Last of Us. Reste cependant une question fondamentale : l’attrait d’une œuvre, en l’occurrence d’une série télé, réside sur sa narration et sa capacité à surprendre, bref à créer. Or, les I.A. ne sont qu’un recyclage d’éléments déjà inventés. Si la question du droit d’auteur se pose plus que jamais, l’inventivité humaine est-elle réellement mise en danger par le troublant résultat de cette expérience ?

Sur ce point, l’auteur-réalisateur de Terminator, James Cameron, a accordé un entretien passionnant à la télévision canadienne : « La question n’est pas de savoir d’où vient l’histoire, la question est de savoir : "Est-ce une bonne histoire ?" En l’occurrence, je ne pense pas qu’un esprit désincarné, qui ne fait que régurgiter ce que d’autres esprits incarnés ont écrit sur la vie, sur ce qu’ils ont vécu, sur l’amour, sur le mensonge, sur la peur, sur la mortalité (…) puissent émouvoir le public. Je pense qu’il faut être humain pour écrire de telles choses. »

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La conjonction de cette expérience et de cette mise en perspective d’un cinéaste qui, par ailleurs, met en garde dans la même interview sur l’impact des I.A. dans le domaine de la défense et de la finance, nous amène à ce double constat. S’il semble, plus que jamais, indispensable de réguler l’exploitation des I.A., notamment dans leur faculté à s’approprier le travail de créatifs, en revanche leurs capacités actuelles les réduisent, au mieux, au stade d’outil, au pire au rang de gadgets. L’imagination reste, à ce jour et pour probablement encore très longtemps, l’apanage des êtres conscients que nous sommes.

I.A. PLAYLIST

James Cameron n’est pas le seul cinéaste visionnaire d’Hollywood. Antonio Banderas vient de raconter à Variety que Steven Spielberg lui avait prophétisé les bouleversements technologiques qui allaient frapper Hollywood dès le tournage du Masque de Zorro, en 1996 : « Les choses vont changer et elles vont changer très rapidement ! » (en anglais)

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Alors que la Coupe du monde féminine de football se déroule en Australie et en Nouvelle Zélande, l’agence de publicité Marcel a conçu, pour le groupe Orange, une publicité qui fait un usage très habile du Deepfake.

Une I.A. pourrait-elle devenir aussi populaire que les stars du petit écran ? C’est le pari de Jagi Mangat Panda, patron de la chaine indienne Odisha TV, qui vient de lancer sa présentatrice virtuelle, Lisa.

Keanu Reeves, Jeff Goldblum, Jack Black et Jésus (évidemment !) deviennent des DJ dans cette série de visuels exploitant des générateurs d’images.

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I.ARTISTE

C’est la première fois, mais certainement pas la dernière, que nous donnons la parole à un artiste opposé aux générateurs d’images et de textes. François Baranger est romancier, peintre conceptuel pour le cinéma et illustrateur. On vous conseille notamment sa fabuleuse série de Lovecraft illustrées, sorties chez Bragelonne.

« Il y a deux problématiques : une philosophique et une légale. Concernant la légalité, les créateurs de tous ces programmes sont hors-la-loi. Ces gens ont récupéré le travail des artistes et s’en servent pour gagner de l’argent. C’est-à-dire qu’ils ont ratissé tout Internet pour tout récupérer, y compris d’ailleurs des choses privées comme les images de vacances que vous pouvez poster sur les réseaux sociaux. Et ils ont nourri leurs algorithmiques de ce rapt. Tout ce matériel a été pris sans que les artistes n’en soient informés, sans les rémunérer, sans leurs autorisations, alors que nos travaux sont censés être protégés par le droit d’auteur. Il est très compliqué de s’extirper de cette situation. C’est dommageable d’un point de vue financier, mais aussi pour notre image : quand, maintenant, on tape le nom d’un artiste sur un moteur de recherche, on risque de trouver des images conçues avec ces générateurs.

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C’est aussi une catastrophe pour le monde des illustrateurs et, je pense, de l’art en général à moyen terme. Avec d’autres illustrateurs, je suis rentré en conflit avec certains éditeurs qui se servent des I.A. pour faire des couvertures de romans. Ils sont très nombreux. Des gens sont déjà en train de perdre leur travail. Ces petits boulots mal rémunérés, permettent aux jeunes artistes de lancer leur carrière et d’affiner leur savoir-faire. Qu’allons-nous faire si cette étape est accaparée par les générateurs ? Dans le domaine du cinéma, certains studios ont déjà commencé à réduire drastiquement leurs effectifs en exploitant les I.A. Cette absence d’éthique me met en colère.

D’un point de vue plus philosophique, nous n’avons jamais été face à un système qui puisse produire des visuels à une telle échelle. Ces générateurs donnent une apparence de produit fini, sans nécessiter aucun savoir-faire, si ce n’est celui d’écrire des prompts. C’est la grande différence avec un outil : si je donne le même appareil photo à dix personnes différentes, chaque personne en tirera un résultat différent. Si je donne accès à un générateur d’image avec le même prompt à dix personnes différentes, le résultat sera le même puisque ces générateurs font la quasi totalité du travail. Et écrire un prompt n’est pas une démarche artistique à mon sens : dans mon domaine, je dois faire des croquis, travailler les couleurs, laisser reposer l’œuvre, etc. Écrire un simple texte pour obtenir une image n’est pas la même chose. Il faut bien préciser que ces programmes ne sont jamais inspirés : l’inspiration est un processus humain très mystérieux. Ici on parle de statistique, de probabilités. C’est radicalement différent.

Il y a quelque chose dans tout ceci qui m’effraie : l’automatisation de la création. Quand je vois une image créée à l’aide d’un générateur, je ne la trouve jamais belle, parce que je ne perçois plus l’humain derrière elle. Il n’y a qu’une performance technologique qui, de plus, a plagié d’autres artistes pour exister. La donnée humaine doit rester fondamentale. »

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