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I.A. QUOI ? · Dire les termes

  • Julien Dupuy
  • 2023-11-29

L’édito de Julien Dupuy. Talentueux artiste des effets spéciaux, Todd Vaziri est aussi un cinéphile averti. Mais surtout, il n’hésite jamais à dénoncer les raccourcis des médias généralistes qui pourraient nuire à la perception de son corps de métier.

Début novembre, il s’est ainsi offusqué qu’un article du Hollywood Reporter sur la grève de comédiens américains réduise la captation des acteurs pour constituer des doubles numériques à des « scans par I.A. ». Vaziri a en effet remarqué sur X qu’il « n’avait jamais entendu parlé parmi les professionnels de "scans par I.A.". Et la raison pour laquelle les professionnels des effets visuels n’emploient pas ce terme, c’est que "scans par I.A." est une tentative maladroite d’englober des techniques très variées sous une expression parapluie. Or, ce terme brouille les pistes à un moment où la clarté doit être essentielle. »

Vaziri n’est pas le premier acteur de la révolution numérique à mettre en lumière cette problématique du champ lexical lié à l’I.A. Le terme même d’« intelligence artificielle » regroupe tellement de sens, s’applique à tellement de technologies, qu’il est aussi flou que problématique.

Le combat contre cette expression est même devenu l’une des croisades du Français Luc Julia, co-créateur de Siri et ex-directeur du laboratoire de recherche en I.A. de Samsung, qui a signé le livre L’Intelligence artificielle n’existe pas (First). Le terme « intelligence artificielle » a vu le jour en 1956, lors d’un séminaire à Dartmouth.

L’un des participants, Marvin Minsky, a ainsi évoqué son ambition de modéliser un neurone humain informatiquement pour, in fine, constituer une « artificial intelligence », en anglais dans le texte.

Mais Luc Julia rappela sur France Info en janvier 2019 : « Ce que l’on appelle "intelligence artificielle" depuis 1956 ce sont des techniques mathématiques qui n’ont rien à voir avec l’intelligence (…). La machine ne crée pas, ne réfléchit pas et les humains conservent pleinement la main sur ces techniques. »

Une observation partagée par le mathématicien Cédric Villani lors d’une conférence donnée à la Sorbonne et captée par France Culture en 2018 : « L’intelligence artificielle ne comprend pas, n’a aucune conscience de ce qu’est un concept, n’a aucune culture. (…) L’intelligence artificielle, il faut mettre les pieds dans le plat, ça n’est pas intelligent. »

Scientifiquement discutable donc, le terme d’I.A. a néanmoins pour lui d’avoir une puissance dramatique imparable : l’expression évoque les robots d’Isaac Asimov, comme le Skynet de la saga Terminator. Il est ainsi un formidable générateur de fantasmes ou de phobies, mais aussi et surtout un terme pis-aller qu’il faut appréhender avec la plus grande des prudences.

EN + Louis Dessalles questionne la pseudo intelligence de l’I.A. dans La Tribune

EN + Un article revenant sur la naissance du terme « intelligence artificielle ». Lire l’article.

I.A. PLAYLIST

La foire d’art Paris Photo ouvre ses portes aux I.A. avec un nouveau secteur dédié aux créateurs exploitant les générateurs d’image. France Culture en a fait un podcast.

Harry Potter quitte l’Angleterre pour devenir un héros berlinois dans cette création de Demon Flying Fox générée par Midjourney.

La dernière pub pour Coca Cola, réalisée par Henry Scholfield, s’approprie des grands classiques de la peinture grâce, notamment, aux I.A., Stable Diffusion en tête.

Et puisque l’on va parler (un peu) d’étalonnage dans I.Artiste, on en profite pour signaler que le vidéaste ATOM vante les capacités de Da Vinci Resolve, un logiciel dopé aux I.A. et aux capacités étonnantes.

I.ARTISTE

Amélie Ravalec, fille de Vincent Ravalec et sœur de Benjamin Ravalec que nous avions interviewés dans le 10e I.A. QUOI, est l’une des membres de la société clamartoise Circle Time Studio, dédiée, notamment, à la création assistée par I.A. Artistes pluridisciplinaires, elle a réalisé des films, des documentaires et a sorti l’ouvrage d’art Posthuman Codex, composé de fresques foisonnantes qu’elle a conçues à l’aide de générateurs d’images.

Le site officiel d’Amélie Ravalec

« À la base, je suis réalisatrice et étalonneuse. Or, avant même l’arrivée des I.A. génératives, j’ai bien vu à quel point nos outils devenaient de plus en plus performants ces dernières années. Ces nouvelles performances me permettaient, déjà, de me concentrer sur ce qui importe réellement dans mon travail : l’image, les couleurs, les émotions qu’une image doit transmettre.

Parallèlement à mes activités d’étalonneuse, je réalise aussi des fictions et des documentaires en toute indépendance. J’avais ainsi commencé le tournage d’un film expérimental en Islande et j’ai découvert Midjourney en revenant chez moi. J’ai commencé à m’emparer de cet outil en essayant de reproduire les scènes que nous avions tournées en Islande, qui étaient déjà très surréelles en elles-mêmes. Et j’ai eu un déclic : l’outil était parvenu à retranscrire ce que j’avais en tête en quelques secondes. C’était presque magique !

J’ai aussi compris très vite que l’I.A. me permettait d’accomplir des œuvres que je n’aurais jamais pu faire avec des méthodes traditionnelles. Si j’avais collaboré avec un autre artiste par exemple, le résultat n’aurait pas été aussi représentatif des visions que j’avais à l’esprit. C’est un collaborateur idéal en un sens. L’I.A. permet également de développer les idées extrêmement rapidement. On n’a plus le même rapport au temps et, de cette façon, on a de plus en plus d’idées. La rapidité est une chose précieuse. C’est le cas pour Posthuman Codex qui a découlé de toutes ces premières expérimentations : c’est un livre qui rassemble environ 350 images - j'en ai créé en tout plus de 5000. Aucun être humain n’aurait pu proposer autant d’œuvres en si peu de temps.

Je suis très inspirée par l’art de la renaissance et les peintures médiévales. Mon dernier documentaire en date, Art & Mind, s’intéressait d’ailleurs à la représentation de la folie en art, du XVe siècle jusqu’à aujourd’hui. Ça a fatalement impacté Posthuman Codex. Mais mon objectif n’est pas de singer des œuvres d’art existantes. En l’occurrence, je retrouve avec Midjourney la texture, la lumière d’un tableau à l’huile de la Renaissance, mais avec une patte spécifique à cet outil. Cette confrontation donne un aspect étrange, presque fantomatique aux visuels. À l’inverse, je n’aime pas du tout le caractère photoréaliste des générateurs d’image, alors qu’il est recherché par beaucoup d’utilisateurs. En un mot, il faut savoir aussi détourner les outils pour en tirer le meilleur.

Mon travail avec les I.A. ne m’empêche pas de continuer à prendre des photos de façon traditionnelle. J’ai encore tourné avec ma propre caméra ces derniers mois. Autrement dit, il n’y a pas de choix à faire, on peut très bien se nourrir des deux. L’I.A. permet aussi de pousser les techniques plus traditionnelles : je peux charger mes travaux photographiques dans l’I.A. pour les retravailler, les manipuler, m’en servir comme base.

Par contre, je retouche peu les résultats que me propose les I.A., je me contente de les étalonner. Et puis, je travaille encore avec des humains, mais c’est génial de pouvoir faire les deux. J’ai toujours été indépendante, mes films sont autoproduits et l’I.A. me permet ne de plus dépendre des autres. »

Image de couverture : Posthuman Codex d'Amélie Ravalec

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