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I.A. QUOI ? Création Autophagique

  • Julien Dupuy
  • 2023-12-01

L’édito de Julien Dupuy. L’intelligence artificielle est une sorte de cannibale qui se sert de ses propres créations pour s’alimenter. Mais à force de se manger, ne va-t-elle pas finir par concevoir des œuvres informes ? Des scientifiques se sont penchés sur la question.

Depuis l’émergence des I.A. génératives, capables de proposer une quantité folle de contenu en un temps record, Internet a été submergé par leurs productions, devenues omniprésentes en l’espace de quelques mois seulement. Or, le mode de fonctionnement des I.A. génératives consiste à ratisser tout ce qu’elles peuvent piocher sur la toile, pour fusionner ces données en de nouvelles productions. Quand bien même le résultat de ce processus est, aussi, le fruit d’une commande, donc d’une idée humaine, les I.A. génératives semblent donc condamnées à s’autoalimenter de plus en plus. Une question se pose dès lors : au long terme, cette autophagie des I.A. ne va-t-elle pas avoir des conséquences sur sa production, de la même façon qu’une photocopie de photocopie finit de réduire une image à une masse informe grisonnante ?

Selon un article signé Ted Chiang pour The New Yorker, il serait possible qu’apparaissent progressivement des artefacts indésirables sur les productions de ces générateurs, de la même façon qu’une image en format jpeg se retrouve, à force de compressions successives, parsemée de déformations indésirables. Des étudiants de Cambridge ont dénommé ce phénomène « the curse of recursion » (« la Malédiction de la récursivité ») : à force d’autophagie, les I.A. écoperaient d’un caractère consanguin qui, à moyen terme, pourrait les condamner à l’effondrement. Ross Anderson, professeur à Cambridge, va jusqu’à comparer ce mécanisme au terrible mal qui ronge les océans, aujourd’hui minés par l’omniprésence du plastique : ces masses aquatiques sont victimes d’une pollution invisible à l’œil nu, mais qui les dénature en profondeur et pourrait les dévitaliser.

Pour le moment, ces théories relèvent de la spéculation sur des technologies très récentes et encore, pour partie, émergeantes. Une chose, néanmoins, est d’ores et déjà évidente : si l’engouement pour les I.A. devrait, selon toute apparence, être pérenne, il est impérieux pour sa survie que tous ces générateurs cohabitent avec, voire même encouragent, les autres formes d’expressions.

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I.A. Playlist

Certains utilisateurs d’I.A. ont des démarches pour le moins déstabilisantes. Ce dénommé Sonch par exemple, a exploité des I.A. génératives pour « améliorer » (ce sont ses termes) un chef-d’œuvre de la peinture, Nighthawks d’Edward Hopper. On vous laisse juger du résultat de ses étranges expérimentations.

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Un article synthétique et très complet sur l’« affaire » Sam Altman, le patron d’Open A.I., licencié puis réintégré dans sa propre entreprise grâce à Microsoft et à ses employés.

I.ARTISTE

Réalisateur, peintre et désormais artiste I.A., Christian Volckman porte un regard complexe et passionnant sur ces nouveaux outils qui pourraient répondre à certaines de ses frustrations.

« Mon premier film, Renaissance, est sorti en 2006. C’était une production très ambitieuse technologiquement parlant : il y avait de la capture de mouvement, de la 3D, de l’animation. 300 personnes sont passées sur ce projet auquel j’ai consacré sept ans de ma vie. J’ai eu une espèce de dépression post-partum après la sortie de ce film : c’était trop fastidieux à concevoir, j’y investissais trop d’énergie pour un résultat qui m’en apportait très peu. Je me suis alors reporté dans la peinture pendant plusieurs années. Je pouvais toucher le public avec des formes très libres, plus mystérieuses. Et financièrement, il n’y a pas le poids du cinéma

Mais après plusieurs années, j’ai réalisé que j’avais du mal à composer avec le monde du marché de l’art qui a fini par me dégouter. Et j’ai donc replongé dans le cinéma pour réaliser le thriller fantastique The Room en 2019 qui, par bien des aspects, a été conçu en réaction à Renaissance. Cette expérience a relancé mon envie de cinéma et je travaille actuellement sur un nouveau film avec Gaumont.

Au milieu de tout ceci est survenu l’I.A. : j’ai toujours été fasciné par la technologie et j’ai voulu la tester d’abord par pure curiosité. L’I.A. procède comme nous : nous faisons tous appel à notre culture et à notre expérience pour créer. De la même façon, tous ces outils se basent sur ce qu’ils ont pioché sur le net. Reste une question à laquelle l’I.A. ne peut pas répondre : le point de vue. C’est là que tout se joue selon moi.

Parmi mes créations, il y a la série des Mud : c’est un jeu sur le caractère éphémère de toutes choses, sur le fait que l’on émane et que l’on retournera à la terre. Dans une autre série, intitulée Mad World, j’ai voulu m’éloigner du jeunisme dont souffre beaucoup de créations I.A. tout en cherchant à humaniser mes personnages au maximum. Je voulais donner une émotion à ces images en restant très simple.

L’un des aspects qui me semble le plus intéressant avec les I.A., c’est que l’on arrive très vite aux limites de notre propre imaginaire. C’est un constat qui m’a beaucoup étonné. Comme on a des réponses immédiates à nos idées et que l’on obtient très facilement, et sans investissement, des images voire des vidéos, on se retrouve vite bloqués. Et même quand la machine propose des voies différentes dans lesquelles on pourrait s’engouffrer, ce sont souvent de fausses pistes. Bref, l’I.A. nous renvoie, paradoxalement, à la question de nos propres limites en tant que créateurs.

Et puis il y a les limites de ces outils. La censure, tout d’abord, est un vrai frein, c’est extrêmement contraignant. Mais surtout, ce que les I.A. génèrent ne parvient pas encore à refléter exactement notre objectif, notre point de vue. On peut, cependant, considérer que ce dernier point est amené à s’améliorer.

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Pour les réalisateurs, l’I.A. est tout de même la promesse d’une libération, de pouvoir outrepasser l’enfer du financement, des intermédiaires. J’ai des tas de scénarios qui ne trouvent pas preneur et que je pourrais concrétiser un jour grâce à tous ces générateurs. A contrario, les I.A. nous mettent face à des problématiques éthiques, morales et sociétales. Car ces outils vont, fatalement, remplacer beaucoup de gens. Or, faire un film, c’est aussi une aventure humaine avec une équipe, et il me semble important de conserver cette donnée. Il va donc falloir que nous tous, en tant que société, nous nous confrontions à ces questions.  »

Image de couverture créée sur DALL-E

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