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Festival de Brive 2024 : nos 5 films préférés

  • Marilou Duponchel
  • 2024-04-17

Une fois de plus, le festival de moyen métrage de Brive a fait honneur à sa réputation. Pour sa 21e édition, l’évènement créé en 2004 par Katell Quillévéré et Sébastien Bailly a confirmé sa nature défricheuse et son goût pour un jeune cinéma libre et inventif, en proposant une programmation extrêmement ambitieuse et réjouissante, riche en propositions et diversité. Retour sur nos cinq découvertes et coups de cœur de cette année 2024.

RESET de Souliman Schelfout

Grand Prix du festival, cette fiction aux allures documentaires fait le portrait de Pietro, un garçon persuadé que Bill Gates est à l’origine du Covid, et qui nourrit sa chaîne YouTube de vidéos destinées à valider son discours. Etalé sur plusieurs années – avant et après la pandémie –, Reset amplifie, à mesure que le temps défile, la paranoïa de son héros complotiste en quête de signes et de sens. Marqué par l’isolement du confinement, Pietro, enfermé dans sa solitude, consolide sa réalité sous haute vigilance, alimentée par des instances de pouvoir complices de cette paranoïa. La très juste intuition de Souliman Schelfout est alors d’évacuer toute curiosité morbide à l’endroit de son personnage pour lui préférer un regard inquiet mais tendre. Surtout, Reset saisit avec une grande acuité l’essence même de ce qui fait fracture (une subjectivité murée dans des croyances), sans omettre d’observer le délire autoritaire d’un gouvernement hors sol. Enfin, le plus beau geste accompli par le film est de parvenir à modérer son climat anxiogène pour faire de Pietro une sorte d’alter-ego du cinéaste, celui qui choisit de voir, d’inventer. Et à Reset de célébrer, dans une scène finale magnifique, le déni, non pas comme le signe d’une folie furieuse, mais peut-être comme celui d’un désir désespéré de fiction.

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PETAR d’Anastasija Pavlovic Kulundzic

Le temps d’un été, la cinéaste Anastasija Pavlovic Kulundzic accueille son « brat » - qui signifie « frère » ou « cousin » en serbe –, dont elle a été séparée à l’adolescence. Venu de Munich, où il travaille comme ouvrier dans une usine, Petar débarque en Corse où la jeune cinéaste s’est désormais installée. Le duo est bientôt rejoint par la mère de ce dernier avec laquelle le garçon entretient une relation aimante mais houleuse, entachée par un passé commun éruptif. Un terreau a priori inflammable dont la cinéaste s’écarte pour lui préférer une captation sensible de ce qui fait la complexité d’un lien familial. Dans l’immense corpus que constitue le film de famille et le genre du portrait documentaire, l’émouvante singularité de Petar se situe dans son refus du coup d’éclat et dans le partage imminent de son intimité. Le film est marqué par des trouvailles de mise en scène d’une très belle sobriété et d’une grande profondeur existentielle. Film de famille mais aussi film d’été, Pétar se referme avec la mélancolie propre aux adieux et à l’éphémère des choses, en ayant enregistré au passage leurs empreintes indélébiles.

SKATEPARK de Fanny Chaloche et Annabelle Martella

C’est un skatepark sans skateurs·ses. Un terrain vague avec ses rampes en aluminium étincelantes, que personne ne ride. On s’y pose pour fumer, écouter de la musique, discuter, parfois ne rien dire. Pour se faire des soufflettes et bricoler un lance flamme, avec un déo et un briquet. Fanny Chaloche et Annabelle Martella connaissent bien l’endroit. Elles sont nées à Châtillon-Coligny, un bled du Loiret et théâtre de ce récit adolescent. La connaissance du lieu ainsi que l’amitié réelle nouée avec celles et ceux qui l’arpentent rend Skatepark viscéralement authentique et vivant dans le portrait qu’il brosse de sa jeunesse. Elle porte ici les traits de Wido, un jeune garçon au centre du film, à la gouaille anachronique et à la maturité d’un Jean-Pierre Léaud. La jeunesse, c’est aussi Kim, et bien autres. Elle est à la fois d’aujourd’hui, parle de politique, aime le rap, est parfois à la masse sur le féminisme. Mais on la reconnait à son énergie punk, à sa beauté disgracieuse, à sa bêtise parfois, mais à son intelligence surtout.  On reconnaît aussi la menace autoritaire qui la guette – le projet du film est jugé offensant par le maire de la commune. C’est ainsi que, passée l’euphorie – celle du groupe et la nôtre –, l’allégresse de Skatepark s’étiole. Les feuilles de l’automne recouvrent le sol, le soir arrive plus vite, et bientôt les ados ne seront plus que des silhouettes dans la nuit. Une tristesse sourde, une rage, un sentiment d’abandon qui donnent à Skatepark toute son ampleur romanesque et politique.

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GAMA de Kaori Oda

Prix de la presse, Gama reprend à son compte un peu de la pensée lanzmannienne sur le caractère irreprésentable de l’horreur de la guerre. Nous sommes ici au Japon, dans des grottes naturelles baptisées « Gama », où de nombreux Japonais et Japonaises perdirent la vie durant la bataille d’Okinawa, en juin 1945. Face à la caméra de la cinéaste et autrice Kaori Oda, un conteur raconte l’enfer du lieu. À cette matière documentaire magnifiquement captée par une image granuleuse et sensorielle, la cinéaste adjoint une part plus fantasmagorique, incarnée par un personnage féminin, témoin et observatrice – comme une voyageuse du temps. Dans cet écrin dépouillé et hostile, propice à accueillir un hors champ décrypté par les mots du conteur, Kaori Oda use d’une invention de mise en scène simple et efficace pour donner corps à toute l’atrocité de son histoire. Enfin, le film propose une réflexion assez passionnante et hautement actuelle sur la contamination de la surface par le sous-terrain. Il suffit d’une scène au bord de l’eau, déchirée par de lointaines sirènes menaçantes, pour reconnaître l’inquiétude du présent.

AN ASIAN GHOST STORY de Bo Wang

Enfin, un dernier film qui aura été l’un des gestes les plus stimulants de cette édition. Il prend la forme d’un mockumentary autour de la fabrication de perruques à Hong Kong et d’un mystérieux embargo américain daté 1965, et baptisé « le Communist Haïr Ban ». Patchwork d’images et d’idées foisonnantes, An Asian Ghost Story est d’une grande rigueur formelle, tout aussi inventive que sophistiquée. Le film réunit dans un même geste des réflexions passionnantes, poétiques et politiques, sur le capitalisme et le communisme, sur l’Orient et l’Occident, et sur la nécessité de la fiction face à la marche spéculative du monde. En nous faisant croire que les cheveux seraient hantés par des fantômes immortels, An Asian Ghost Story trouve sa plus belle inspiration pour brouiller les repères du réel.

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