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Gérald Bronner : « On peut croire en des choses folles sans être fou soi-même »

  • Jean-Marie Durand
  • 2022-11-16

Depuis ses premiers livres – « L’Incertitude », « L’Empire des croyances »… – jusqu’aux plus récents – « Apocalypse cognitive », « Les Lumières à l’ère numérique »… –, le travail du sociologue Gérald Bronner, invité par mk2 Institut pour une série de conférences, est centré sur la question des croyances, de la rationalité et de ses impasses. Il revient ici sur ce qui l’anime, l’inquiète, et le rassure aussi.

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Qu’est-ce qui, selon vous, vous attache depuis vingt ans à la question de la croyance ?

Il y a sans doute une double raison. La plus avouable est que la question place le chercheur à la frontière de questions passionnantes : à partir de quand une croyance devient-elle une connaissance ? Pourquoi des esprits normalement constitués peuvent-ils basculer dans des formes de crédulité qui paraissent folles ? Une autre raison est plus personnelle. J’ai été très croyant dans mon adolescence et un peu après. La sociologie m’a permis de me désengager peu à peu et de m’ouvrir à une forme de pensée plus rationnelle. J’en ai fait mon objet d’étude. Cela m’a sans doute donné un avantage pour former certaines de mes hypothèses concernant les croyances les plus extrêmes. J’ai su dès cette période que l’on peut croire en des choses folles sans être fou soi-même.

Cette question, encore marginale quand vous débutiez, n’est-elle pas devenue centrale aujourd’hui, à l’heure du complotisme et de la post-vérité ?

En effet, mon sujet n’intéressait pas grand monde dans les années 1990, même si les croyances collectives ont toujours constitué un objet classique pour la sociologie : certains collègues m’incitaient plutôt à travailler sur des objets plus « nobles » comme le travail ou la santé. Mon intérêt pour les croyances m’a sans doute permis de voir de façon précoce ce qui était en train de se produire avec l’apparition des mondes numériques. Dès L’Empire des croyances, en 2003, je mettais en garde contre la profusion de crédulité qu’Internet permettrait sans doute. Ma position a fait un peu polémique, car, à l’époque, la plupart des chercheurs voulaient voir en ce nouvel outil la possibilité de rénover la démocratie.

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Qu’est-ce qui, depuis une vingtaine d’années, vous semble être la transformation la plus lourde de notre rapport à la vérité et à la croyance ?

Trois choses parmi d’autres me paraissent importantes. Premièrement, l’éditorialisation algorithmique, qui désigne la manière dont les algorithmes organisent à la fois l’ordre et la fréquence d’apparition des informations selon leur capacité à capter l’attention ; deuxièmement, le calibrage social, ou la façon dont les réseaux sociaux altèrent la perception de la représentativité et de la popularité de certains points de vue ; troisièmement, l’influence asymétrique rendant possible la prévalence de certains discours extrêmes et minoritaires. En d’autres termes, les croyances, les rumeurs, les théories du complot préexistent évidemment à l’apparition d’Internet, mais cet outil – formidable par ailleurs – représente des modifications fondamentales de la vie sociale et de la façon dont l’information s’y diffuse.

Si certains ont toujours cru que la Terre était plate ou que le père Noël existait, pensez-vous que les délires irrationnels sont de plus en plus nombreux ?

Je ne prendrai pas le risque de dire que les délires irrationnels sont plus importants aujourd’hui. Nous avons globalement une représentation du monde plus cohérente aujourd’hui qu’au Moyen Âge, par exemple. En revanche, ce sont les modes de diffusion du faux, la rapidité de cette diffusion, le genre de nouvelles communautés que cela rend possibles (le mouvement QAnon par exemple), la nature même des argumentations qui servent la crédulité… qui me paraissent tout à fait originaux et représenter une nouvelle forme de péril pour nos démocraties.

Pourquoi les progrès du niveau d’éducation et de l’accès à l’information n’empêchent-ils pas la prolifération de ceux qui croient n’importe quoi ou qui ne croient plus rien ?

Le niveau d’éducation n’est pas totalement indépendant de certaines formes de croyances. Ainsi, les croyances conspirationnistes par exemple sont statistiquement plus présentes dans les populations qui ont un niveau d’études plus faible. Mais, pour d’autres croyances, on trouve l’inverse. Bref, on ne peut avoir une théorie simple concernant les liens entre niveau d’études et crédulité. Ce qui paraît protéger le mieux, c’est tout de même une bonne formation à l’esprit méthodique – que l’on retrouve dans la pratique de la science, par exemple. Il faut à présent systématiser cet enseignement afin de garantir l’indépendance mentale de nos jeunes esprits.

Nous aurions également besoin, selon vous, d’une ingénierie de l’intelligence collective pour éviter d’être perméables aux fausses informations. Cela vous semble-t-il jouable, ou la partie est-elle déjà terminée ?

C’est totalement jouable ! De récents travaux montrent que les techniques non seulement existent, mais qu’elles fonctionnent ! Certaines d’entre elles sont appliquées en ce moment même par plusieurs plateformes, avec un certain succès. Le problème est cependant si immense (proportionnel à la masse d’information titanesque diffusée à chaque instant) qu’il doit aussi être pris au sérieux par les

« Les croyances collectives : au croisement du monde contemporain 
et de la nature humaine », 
une série de conférences 
de Gérald Bronner, du 17 novembre au 16 février, au mk2 Odéon (côté St Michel) à 20 h

tarif : 15 € | étudiant, demandeur d’emploi : 9 € | − 26 ans : 4,90 € 

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