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Dominique Pinon : « C’était flatteur de savoir que Sigourney Weaver voulait me recruter »

  • Damien Leblanc
  • 2022-11-10

« Alien, la résurrection » fête cette semaine les 25 ans de sa sortie au cinéma et ce film réalisé par Jean-Pierre Jeunet demeure un rare cas d’incursion d’un cinéaste français dans une grosse saga hollywoodienne. Acteur fétiche de Jeunet, Dominique Pinon fut lui aussi de l’aventure et nous confie ses souvenirs de ce tournage américain à nul autre pareil.

Comment avez-vous au départ été approché pour jouer dans Alien, la résurrection ?

J’allais entamer des répétitions au théâtre d’un spectacle qui se montait à la Comédie-Française. Une pièce de Brecht, Mère Courage et ses enfants, mise en scène par Jorge Lavelli, un metteur en scène très connu à l’époque. Et puis je reçois un coup de fil de Jean-Pierre Jeunet. J’ignorais ce qu’il faisait à cette période et il me dit « Devine où je suis ? ÀLos Angeles, je prépare le nouvel Alien ». J’avoue que j’étais très surpris. Pour moi Alien c’était surtout le premier film de Ridley Scott que j’avais vu au cinéma quand j’ai débarqué à Paris en 1979 et qui m’avait beaucoup marqué. Donc je réponds à Jean-Pierre « Ah ben très bien, super ». Puis il ajoute « Tu sais qui j’ai à côté de moi ? Sigourney Weaver. Elle voudrait que tu sois dans le film ». Là forcément, je tombe un peu des nues. J’étais face à un vrai dilemme car je m’étais engagé pour le théâtre, mais je n’ai pas su résister à l’appel d’Hollywood.

Ni à l’appel de Sigourney Weaver, qui était à la fois actrice et coproductrice du film.

Voilà. Sigourney m’avait vu dans Delicatessen et dans La Cité des enfants perdus, qui avaient été appréciés à Hollywood. Le travail de Jean-Pierre commençait à être bien connu là-bas. Et c’était flatteur de savoir que Sigourney Weaver voulait me recruter.

Un tel tournage devait forcément être spécial en termes d’organisation.

Le tournage a démarré en novembre 1996 et j’ai d’abord fait un aller-retour à Los Angeles pour louer une maison et faire quelques essais costumes. Et puis après on est parti quasiment cinq mois, avec ma femme, mon chat et mon chien. On avait toute la panoplie californienne, la villa à Beverly Hills, etc. Avant le tournage, il fallait aussi faire un entraînement sportif de nage en apnée pour la scène de traversée sous l’eau.

Vous jouez dans le film le rôle de Vriess, un mercenaire et mécanicien qui est en fauteuil roulant.

Il fallait faire très attention avec ce fauteuil. Il avait été conçu par Marc Caro, qui avait été coréalisateur avec Jean-Pierre de Delicatessen et La Cité des enfants perdus. Comme on était dans un univers en huis clos, cet objet lourd pouvait devenir dangereux s’il heurtait quelqu’un. Dans le film on a l’impression que c’est moi qui le commande mais il était en fait télécommandé à distance. Je ne l’avais pas au début du tournage car on a commencé dès le premier jour par la grosse scène d’action en apnée. C’était surréaliste, je me suis retrouvé à nager sous l’eau avec Sigourney Weaver, Winona Ryder et un accessoiriste en homme-grenouille qui lâchait dans l’eau des faux ustensiles de cuisine - car ce sont les cuisines du vaisseau qui étaient inondées dans cette scène. Ce premier jour, je m’en souviendrai toujours.

"Winona Ryder nous propose pour nous détendre d’aller fumer son herbe. J’ai vécu ce qu’on appelle un « bad trip »"

Et ce n’était pas trop compliqué de parler anglais sur ce tournage?

C’est surtout pour Jean-Pierre que c’était difficile car il ne parlait initialement pas un seul mot d’anglais. Il était arrivé longtemps avant le tournage et avait eu un stage intensif de langue. Mais moi j’avais vécu aux États-Unis à la fin de mon adolescence : comme je ne savais pas trop quoi faire après mon baccalauréat, j’étais parti faire un an de High School en Alabama dans une famille d’accueil pour passer le bac américain. Cela date de ma plus haute antiquité, en 1972-1973 donc il a fallu une petite remise à niveau. L’anglais n’était en tout cas pas une difficulté majeure. Et il faut savoir que Sigourney Weaver est très francophile et qu’elle parlotait le français. Jean-Pierre a de son côté fini par bien se débrouiller en anglais, mais il vérifiait quand même toujours après chaque prise si on avait bien dit ce qu’il y avait dans le texte, car il n’avait pas l’oreille assez fine pour tout saisir en direct.

Ron Perlman, Sigourney Weaver et Winona Ryder dans Alien, résurrection.

Dans le film, on sent un esprit de troupe avec le reste du casting. Vous êtes comme une bande qui passe son temps ensemble.

C’était formidable avec les autres comédiens, vraiment. Je me souviens de chacun. Et si on a été si soudés, c’est sûrement parce qu’on a commencé par cette scène sous l’eau, dont le tournage a duré dix jours. On n’arrêtait pas de plonger et c’était assez stressant. Le dernier jour, il était environ six heures du soir et on attendait qu’un ultime plan complexe se mette en place. Et Winona Ryder, qui est une fille de baba cool, nous propose pour nous détendre d’aller fumer son herbe. Moi je n’avais jamais pratiqué ce genre de chose mais j’ai suivi le groupe et on se retrouve tous à fumer son truc. Et le fait est que j’ai mal supporté ça et que j’ai vécu ce qu’on appelle un « bad trip ». Là-dessus, l’assistant arrive: « Come on guys, let’s go shooting ».

Pour le plan qui restait, on avait toute la traversée à faire, c’est à dire quasiment 25 mètres de nage. Une fois arrivés au bout, on avait un détendeur pour respirer sous l’eau mais on ne pouvait pas revenir à pieds secs au point de départ et il fallait tout retraverser en sens inverse sous l’eau. Et pour moi ça a été extrêmement dur, j’ai cru que je n’y arriverai pas. Pour tous les autres ça allait très bien, mais moi j’étais dans un état de panique totale. Je ne sais pas comment je m’en suis sorti mais j’ai l’impression d’avoir fait 200 prises, c’était horrible. C’est clairement une chose que je ne referai jamais plus.

On sent en tout cas une tendresse de Jean-Pierre Jeunet pour votre personnage de grande gueule grimaçante. D’autant que vous faites partie des quatre protagonistes qui survivent à la fin.

Quand on a proposé ce film à Jean-Pierre Jeunet, il a d’abord dit non car il trouvait que le scénario, qui était passé par plusieurs mains, partait dans tous les sens. Mais il a ensuite eu la possibilité d’ajouter certains éléments [au final, seul Joss Whedon est officiellement crédité au scénario, ndlr]. Et, me connaissant bien, Jean-Pierre a sans doute orienté le rôle de Vriess en ma faveur, oui. Dans la séquence finale, on se roule même un patin avec Ron Perlman [qui avait précédemment tourné avec Jeunet et Pinon dans La Cité des enfants perdus, ndlr].

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Avez-vous ensuite tenté de refaire des films américains et de rester à Hollywood ?

Rester à Hollywood, c’est une décision difficile à prendre. Cette occasion de tourner Alien était exceptionnelle, mais moi ma langue et ma culture sont françaises. Et je commençais à cette époque à faire des choses intéressantes au théâtre. Alors c’est tentant évidemment et j’ai même rencontré à l’époque des agents américains. Mais ça m’a un peu refroidi je dois dire. À Los Angeles, tout le monde était là pour le cinéma, vous alliez dans le moindre restaurant et chaque serveur avait écrit un scénario. C’était plutôt étouffant. Je me souviens d’une anecdote à ce propos. On avait chacun une doublure lumière sur le tournage d’Alien, la résurrection et un matin on entend la doublure de Winona Ryder pousser des hurlements de joie. Cette jeune américaine venait d’apprendre qu’elle allait être la doublure lumière de Sharon Stone. Alors je pouvais comprendre, mais ça paraissait curieux de se réjouir à ce point d’être une doublure.

On sent que cette expérience hollywoodienne a servi ensuite à Jean-Pierre Jeunet pour la mise en scène d’Amélie Poulain, qui reste son plus grand succès dans le monde.

Bien sûr, on apprend toujours. Mais en même temps ça n’a pas été facile pour lui sur le tournage d’Alien. Il avait une pression énorme. Tous les jours quelqu’un de la Fox venait sur le plateau, c’était parfois le numéro 2, parfois le numéro 3, ça changeait sans cesse. Je n’ai jamais très bien compris leur organigramme d’ailleurs.

Aujourd’hui, près de vingt-cinq ans après, vous continuez à tourner des films de genre, comme Apache, de Romain Quirot.

Oui j’ai tourné dans ce film qui sortira en février 2023 et qui parle des Apaches de Paris, c’est à dire la bande de gangsters de l’an 1900. C’était un tournage très sympa. Mais moi vous savez, le cinéma, je suis un peu retiré des affaires.

Pourquoi cela ?

Pour dire les choses gentiment, je suis moins désiré au cinéma. C’est comme ça. Maintenant on me propose surtout des séries, comme Outlander, très belle série américaine qui s’est tournée en Écosse et qui est sortie sur Netflix il y a déjà quelque temps. Et là je suis en train de tourner une série avec les sœurs Lamy, qui s’appelle Killer Coaster, où je joue le père d’Audrey Lamy. Bon, ça reste des rôles secondaires.

Et que pensez-vous du débat récurrent sur l’avenir des salles de cinéma ?

Moi je continue à aller au cinéma. Cette année, j’ai trouvé formidable le film de Klapisch sur la danse, En corps. Et j’ai beaucoup aimé la Palme d’or, Sans filtre. Et là je vais aller voir EO, de Skolimowski. Je ne suis pas maître de l’évolution des choses mais j’ai en ce qui me concerne toujours très envie de voir des films en salles et dans de bonnes conditions ; des films qui surprennent, qui ont quelque chose à raconter, qui ne sont pas formatés.

À propos de formatage, certaines voix critiquaient en 1997 le fait qu’Alien, la résurrection était une énième suite avec en plus une histoire de clonage. Mais le film a conservé aujourd’hui un ton plaisant, original et assez barré.

Jean-Pierre a vraiment mis sa patte. Il s’est battu pour ça. Comme souvent, il y avait des projections tests avant la sortie aux États-Unis, où ils ont fait venir des spectateurs avec un questionnaire : « Est-ce que vous aimez telle scène, tel personnage ? Est-ce que vous aimez la fin ?» Et Jean-Pierre a eu tout bon. Il a au final réussi à faire le film qu’il avait en tête.

Aujourd’hui, quel bilan dressez-vous de cette aventure Alien, la résurrection?

Je dirais qu’on était un gros film mais avec aussi un côté artisanal. On faisait les effets spéciaux directement sur le plateau, il y avait des fumées lancées dans tous les coins. Quand on sort de l’eau et que des œufs d’aliens s’ouvrent, moi je pensais qu’un type télécommandait ça de loin. Mais à la fin de la journée de tournage, je vois un œuf qui se soulève et c’était en réalité un marionnettiste qui le faisait bouger.À la même époque, un autre gros film de la Fox se tournait : Titanic, de James Cameron, lequel avait d’ailleurs tourné Aliens dix ans avant.

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Mais Titanic ne se tournait pas dans les mêmes studios que vous?

Non, Titanic se tournait en Basse-Californie, au Mexique même. Nous on tournait vraiment dans les studios de la Fox, à Santa Monica. Jean-Pierre disait en rigolant que tous les meilleurs postes étaient partis sur Titanic. Moi quand je me fais courser par l’alien sur mon fauteuil roulant et que je dois monter les morceaux de mon arme pour tirer, tout était en plastique. J’ai donc cassé cette arme 2-3 fois. C’est assez curieux de tourner dans un blockbuster à 70 millions de dollars mais d’avoir des trucs en plastoc qui se cassaient. Tout ça me fait penser que je n’ai pas revu le film depuis longtemps. J’ai bien envie maintenant.

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