CinémaPETIT ÉCRANCultureQUEER GAZEDIVINE GANGI.A. QUOI ?Le magazine
  • Divine Gang
  • Article
  • 4 min

DIVINE GANG · Dark wave, BDSM et villes dépeuplées… Nicolas Medy présente le moodboard de son clip « Boundless »

  • Quentin Grosset
  • 2023-03-24

Dans un territoire militarisé, un fugitif se rend dans un club aussi énigmatique que clandestin. Nicolas Medy déroule ses inspirations pour « Boundless », son sublime clip pour l’artiste américain Curses.

DIVINE GANG : Visions féroces, trash, camp, DIY, excessives ou romantiques, à l’image de la plus incendiaire des drag queen, Divine, l’icône du cinéma de John Waters. Par Quentin Grosset.  

Une milice en talons hauts lourdement armée circonscrit une zone de béton ensommeillée. Dans cette atmosphère de surveillance oppressante, une ombre furtive se fraye un passage, alertant tous les soldats qui se mettent soudain à ses trousses. L’homme au manteau et aux lunettes noires se dirige vers un lieu secret, une utopie de chaînes et de cuir : on y danse de façon sombre et vaporeuse… Après ses magnifiques clips pour Mansfield.TYA (Auf Wiedersehen, L’Acqua Fresca), le cinéaste Nicolas Medy (Bientôt le feu, Soleils bruns) signe le magnétisant Boundless pour l’artiste new yorkais Curses (Incarnadine, produit par le label allemand Dischi Autunno), dont il s’empare de l’esthétique new beat en imaginant son club idéal, un rêve gothique, une fête de spleen et de bleu. Pour DIVINE GANG, Nicolas Medy nous parle de toutes les images qui l’ont aidé à le bâtir.

« Le point de départ de Boundless : The Hunger de Tony Scott (1983). Le film a inspiré à Luca [l’artiste derrière Curses, ndlr] l’album Incarnadine et une chanson de l'album lui rend hommage directement : « Miriam » du nom que porte le personnage de vampire joué par Catherine Deneuve. »

DIVINE GANG · Gregg Araki : « The Doom Generation parle aux kids de manière très puissante. »

Lire l'article

The Hunger (1979) de Tony Scott

« Je souhaitais que le club soit le point d’achèvement d’une histoire qui commence en dehors, dans la ville la nuit. La dark wave, le post punk, la new wave sont des genres qui m’accompagnent depuis l’adolescence et qui me renvoient à un imaginaire urbain : The Cure, Asylum Party, Trit95, Bauhaus, Visage, Gala, Days of Sorrow, Malaria !, Excès Nocturne, Rendez Vous… Avec ce clip, j’avais d’impression d’un retour aux sources, à mes émotions d’ado. Ce sont les premiers concerts où je suis allé, les premières personnes que j’ai rencontrées qui m’ont fait sortir de mon 13e arrondissement. Cette musique touche à un endroit de mélancolie qui me plaît parce qu’il ne se dérobe pas. »

Pochette de l'album Wild World (2018) de Days Of Sorrow

Pochette de l'album Distance (2016) de Rendez Vous

« Je n’ai pas fait d’études de cinéma, j’ai fait des études d’histoire à la fac, et j’avais écrit mon mémoire sur l’histoire du Palace, entre 1978 et 1983. C’est un moment où je me suis vraiment plongé dans cette culture club des années 1980 : en touchant au Palace, on en vient vite à d’autres lieux emblématiques, les Bains Douches, la Main Bleue… Ce qui me plaît, ce n’est pas tant de rendre hommage à cette histoire que d’imaginer ma propre culture club idéale, qui mêlerait des éléments de science-fiction, de dark wave, de BDSM, de strip tease… Un fantasme total habité par des personnes queer. J’ai pensé au Technoir, le club de Terminator (1984) de James Cameron. J’avais aussi lu une interview de James Contner, le chef opérateur de Cruising (1980) de William Friedkin. Au départ, il aurait voulu faire le film en noir et blanc, mais il n’a pas pu. Il disait que, pour lui, la façon la plus pertinente de faire un noir et blanc contemporain, c’était de composer avec le bleu. Ça m’a beaucoup ému, et j’y ai repensé pour Boundless. Sur la recherche du bleu, je me suis aussi souvenu de films comme Zoo Zero (1979) d’Alain Fleisher, Visage écrit (1995) de Daniel Schmid… »

Terminator (1984) de James Cameron

Cruising (1980) de William Friedkin

Zoo Zéro (1979) d'Alain Fleisher

« Pour faire vivre les personnages je me suis plongé dans les pochettes d’album post punk, la mode et la culture club de la fin des années 1970 et des années 1980 : Pierre Cardin, les débuts de Claude Montana, la boutique "Sex" de Vivienne Westwood et Malcolm Mclaren, Thierry Mugler, les photographies d’Helmut Newton … J’ai l’impression que cette époque correspond à un moment où l’anticipation entre en mode, comme un mélange de punk, de haute couture et de science-fiction. J’aime particulièrement les volumes qui explosent, le cuir qui brille. »

Extrait de l’émission “The Culture Show - 'Girls Will Be Girls'” (BBC, 2014), sur la boutique londonienne “SEX” lancée et tenue par Malcolm McLaren et Vivienne Westwood en 1974, puis fermée en 1983

« C’est un travail que je fais avec Pauline Croce, qui est costumière. Tout cela est proche de sa propre esthétique. C’est elle qui m’a présenté les magazines fetish Atomage qui datent des années 1980. La culture BDSM dans laquelle je puise aussi, je l’ai découverte à Bruxelles. Il y a là-bas une boutique qui s’appelle Nuit de Chine. C’est un endroit où je passe beaucoup de temps, une boutique de revente de magazines pornos avec des collections BDSM pas possibles. Ça compte pour moi, cette idée du magazine qui a vieilli, que tu touches alors qu’il a été manipulé par d’autres gens. »

Couvertures du magazine britannique Atomage, publié dans les années 1970

« Pour le maquillage, j’ai beaucoup été inspiré par Serge Lutens. Je l’ai découvert quand je me suis passionné pour la photographie de mode, à la fin du collège, au début du lycée. Ce qui me fascine chez lui, c’est son côté artiste total : il a été parfumeur, photographe, maquilleur. J’aime son romantisme noir, son jeu d’abstraction avec les couleurs, ses mannequins hiératiques, avec les visages comme des masques. Sur ces visages qui s’effacent, on peut tout projeter. »

Serge Lutens, T.2, éditions Assouline, 1998

« J’ai grandi dans le quartier des Olympiades, dans le 13e arrondissement, près des grandes tours du quartier chinois. Ado, je faisais des portraits de mes copines et, à la fin des bobines, je prenais quelques photos du quartier. Petit à petit, je me suis consacré uniquement aux espaces urbains. Avec des copines, on cherchait les banlieues nouvelles, Nogent, Montigny, qui me passionnent pour tout ce qu’elles créent de fiction. Pour moi, elles sont chargées d’une utopie qui n’a pas marché sur la ville, le vivre-ensemble, une manière de penser le futur. Aujourd’hui, on est moins habités par cette idée d’anticipation, tout ce qui nous reste du futur nous vient des années 1960-1970-1980. Ce sont déjà des décors de science-fiction, leur échelle monumentale est fascinante. »

« Les Olympiades » de Jacques Audiard : libres échanges

Lire l'article

L’échangeur autoroutier de Bagnolet - Polaroïds de Nicolas Medy

« J’ai petit à petit abandonné la photo, parce que le cinéma prenait plus de place. Le temps du cinéma est difficile à appréhender, on est dans l’attente. L’année dernière, pour pallier ça, j’ai repris le polaroïd, et j’ai pu retrouver un médium instantané, avec lequel je peux travailler seul, où la technique est quasiment absente. Je n’ai plus qu’à penser mon cadre et aller vers l’épure, la ligne, le dessin. Ça me réconforte beaucoup. Je pensais avoir épuisé toutes les possibilités de Paris et sa banlieue quand, l’année dernière au festival Côté Court, j’ai vu le film Mars Exalté (2022) de Jean-Sébastien Chauvin, qui se déroule entre Montreuil et Bagnolet. Ça m’a bouleversé, c’était comme un film que j’attendais. Je me suis allé me promener seul la nuit à Bagnolet, et à force de marcher je suis tombé sur l’échangeur autoroutier que le clip prend pour décor. Ce qui était compliqué pendant le tournage de Boundless, c’est qu’on a dû éclairer nous-même ce lieu qui était sans lumière. Il n’y avait aucune lueur sinon les néons du parking. Il faisait moins 15 degrés, c’était tellement étrange de tourner la nuit, l’hiver. »

Mars exalté (2022) de Jean-Sébastien Chauvin

« La ville la nuit me fascine, au cinéma comme en photo. L’architecture, le dessin se transforme. L’itinérance revient souvent dans la mise en scène des films de nuit, la solitude aussi. La ville devient un parcours, comme dans Simone Barbès ou la vertu (1980) de Marie-Claude Treilhou, ou elle se vide comme dans Mercuriales (2014) de Virgil Vernier ou Taipei Story (1985) d’Edward Yang. Matthias Hoch, dont la série Nacht (1987-92) m’a beaucoup inspiré, est probablement mon photographe préféré. Ce qui me plaît dans ses images, c’est ce vide. Dans ce vide et cette possibilité de contrôle, je prends un vrai plaisir de mise en scène. Je me suis alors replongé dans le travail de ces photographes de rue et de nuit : Derek Ridgers, Herbie Yamaguchi, Nicola Tyson, Shirley Baker, Ted Polhemus. »

La nuit retrouvée — dix artistes nous racontent leurs plus belles nuits de cinéma

Lire l'article

Matthias Hoch, Nacht 1987-92

« Ma ville idéale est brutaliste et dépeuplée comme dans les background art des anime, une ville cyberpunk : Akira (1991) de Katsuhiro Ôtomo, les séries Doomed Megalopolis (1991-1992), Cyber City Oedo 808 (1990-1991), Ghost in the Shell (1995) de Mamoru Oshii, Demon City Shinjuku (1988) de Yoshiyaki Kawajiri …C’est le graphiste avec lequel je travaille, Cadinette, qui m’a fait découvrir ce cinéma-là. Les fonds peints sont hallucinants, et sont parfois plus travaillés, investis que les figures humaines. La ville est elle-même un personnage, plus que les héros qui y paraissent toujours plus petits, vulnérables, comme artificiellement posés sur l’image. J’ai aussi pensé à Gotham City, cette ville art déco dans la série animée que je regardais enfant et que je regarde encore. »

« Pour le clip, je ne voulais pas que l’architecture soit comme un fond sur lequel les personnages évoluent. Je voulais quelque chose de lyrique, de virevoltant, d’amusant aussi. Ce lyrisme-là, je l’ai trouvé en m’inspirant de Brian de Palma, le maître en la matière. »

Brian De Palma à l’Associated Press : « La narration visuelle a disparu »

Lire l'article

« Avec Melodrama [la société de production du clip, ndlr], on s’amuse de clip en clip à passer d’un genre à l’autre. Avec ceux que j’ai réalisés pour Mansfield.TYA, on a déjà revisité le nunsploitation, l’heroic fantasy… Là, je me suis dit « allons vers le film d’espionnage ». Un flic (1972) de Jean-Pierre Melville, par exemple, c’est un film que j’adore, qui justement raconte la nuit. Au départ, je n’imaginais pas que le film verserait autant vers la science-fiction. C’est au montage que c’est arrivé. Cadinette a trouvé des cartes de Bagnolet, qu’il a retravaillé en 3D.

Vu au FIFIB : « L’Acqua Fresca », le clip incandescent de Mansfield.TYA par Nicolas Medy

Lire l'article

Ça m’a alors beaucoup rappelé New York 1997 (1981) de John Carpenter.  Et ça a été un déclic, on est allé plus franchement dans cette direction. Je vois les clips comme ces petites capsules où je peux circuler dans le cinéma de genre, sans me donner de limites. »

Image-clé : un contrechamp absent dans "Starman" de John Carpenter

Lire l'article

Un flic (1972) de Jean-Pierre Melville

À voir en ligne : le clip baroque de Mansfield.TYA sous influence Mylène Farmer par Nicolas Medy

Lire l'article

New York 1997 (1981) de John Carpenter

Image de couverture : le clip Boundless de Nicolas Medy

Inscrivez-vous à la newsletter

Votre email est uniquement utilisé pour vous adresser les newsletters de mk2. Vous pouvez vous y désinscrire à tout moment via le lien prévu à cet effet intégré à chaque newsletter. Informations légales

Retrouvez-nous sur