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DIVINE GANG · Julia Kowalski : « J’avais l’impression que les prêtres allaient repérer en moi un démon, que j’allais finir exorcisée ! »

  • Quentin Grosset
  • 2023-06-08

La cinéaste Julia Kowalski (« Crache cœur ») a réalisé un court métrage dément, « J’ai vu le visage du diable » (présenté à la dernière Quinzaine des Cinéastes), sur une jeune Polonaise (incarnée par Maria Wróbel) qui se croit possédée et fait appel à un exorciste. Pour pouvoir créer ses images occultes sidérantes, elle a elle-même mené l’enquête en rencontrant des prêtres et des personnes qui se disaient possédées. Elle nous raconte sa quête des puissances invisibles et des mauvais esprits du cinéma.

Le film sera projeté le samedi 17 juin à 17h30 au Forum des Images, dans le cadre de la reprise de la Quinzaine des cinéastes.

Qu’est-ce qui t’a amenée à t’intéresser à l’exorcisme, particulièrement en Pologne ?

Déjà, je suis née en France de parents Polonais. Et, depuis quelques années, je prépare mon deuxième long métrage, que je galère un peu à financer [son premier long sorti en 2016, Crache cœur, racontait la fascination d’une ado pour un ouvrier polonais venu en France rechercher son fils, ndlr]. L’idée, ce serait d’écrire une histoire de sorcellerie contemporaine, à mi-chemin entre la France et la Pologne. Au cours du développement de ce long, j’ai pris conscience de l’ampleur du phénomène des exorcismes catholiques en Pologne. En enquêtant, je me suis dit que ça pouvait faire l’objet d’un autre film. J’ai rencontré plein de prêtres exorcistes. Là-bas, se faire exorciser, c’est un peu comme aller chez le psy. On y va pour des histoires d’adultères, d’alcoolisme, d’addictions en tous genres – et aussi d’attirances homosexuelles. La Pologne est encore une société archaïque, patriarcale. J’avais envie de réaliser un film sur une jeune femme absolument convaincue d’être possédée parce qu’elle se sent lesbienne. J’en ai rencontrées beaucoup. En Pologne, c’est très hiérarchisé, il y a près de 200 exorcistes nommés par le Vatican. C’est très institutionnalisé, ce n’est pas du tout un folklore. L’actuel coordinateur en chef des exorcismes de Pologne m’a dit : « Tant que je serai là, tu pourras faire un film, mais tu ne pourras pas filmer une séance d’exorcisme réelle. » C’est là que je me suis dit qu’il faudrait que je passe à la fiction.

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Au départ, tu approchais donc ton film comme un documentaire ?

Oui, parce que des gens m’ont raconté des choses incroyables. Je voulais faire un documentaire, mais dont la mise en scène tirerait vers la fiction.  C’est devenu une fiction avec deux acteurs polonais, Maria Wrobel et Wojciech Skibinski, tandis que tous les autres personnages jouent leurs vrais rôles. Parallèlement, les deux comédiens, qui jouent cette jeune fille possédée et un exorciste, n’ont jamais eu de scénario, alors qu’il en existait un très écrit, millimétré. Ça permettait une friction permanente entre documentaire et fiction, sans que l’un prédomine sur l’autre. C’était important pour moi parce qu’à mon sens, la réalité de ce qui se passe est beaucoup plus flippante que la fiction. C’est un film qui parle de religion, du fanatisme au sens large. Ça parle aussi de s’accepter soi, de ne pas avoir peur de sa sexualité.

Pourquoi les prêtres exorcistes n’ont-ils pas accepté que tu fasses un documentaire ?

Certains étaient pour, d’autres non. Ça correspond à une peur des médias, une crainte du regard stigmatisant qu’ils supposaient de la part d’une cinéaste de l’étranger. Le coordinateur en chef des exorcismes m’a proposé de réaliser un film dont il maîtriserait tous les rouages. Or, je ne voulais évidemment pas faire un film de propagande pour l’église catholique, ce n’était pas mon propos.

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Pour ton enquête, tu as pris contact avec des adolescentes qui voulaient se faire exorciser. Comment ça s’est passé ?

Certaines étaient prêtes à ce que je les suive pendant leurs séances d’exorcisme. Mais comment filmer ça ? On ne savait pas si ça allait durer quatre mois, deux ans, ou dix ans. J’en ai rencontré certaines qui en sont sorties, et je ne savais pas dire si elles étaient libérées ou dévastées. Ça c’est purement subjectif. C’est pour ça que pour moi, c’était super important de ne jamais juger dans le film. Qui je suis, moi, Française, pour aller là-bas et décider de ce qui est la vérité ou non ? Tous les cas que j’ai rencontré, je n’étais pas capable de me prononcer : étaient-ils vraiment possédés ou était-ce de l’auto-endoctrinement ?  Ce qui m’intéressait, c’était de filmer une jeune fille qui y allait de son propre chef.

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Toi, tu es athée ? 

Je suis athée mais avec une vraie attirance pour l’occultisme. Une démarche mystique comme celle-là me parle très intimement. Dans ma famille polonaise, il y a un rapport très fort à la nature, aux plantes, à des soins qu’on pourrait qualifier de sorcellerie. Les parents de ma grand-mère étaient des sorciers, et ma grand-mère m’a enseigné plein de choses. Après, c’est très intime mais, quand j’étais ado, j’ai été initiée par une sorcière. Je t’ai ramené un très ancien grimoire de magie noire, qui permet de faire des trucs assez dingues. Ça, c’est ma pratique perso de la sorcellerie, quand j’avais 17-18ans. C’est un livre surpuissant, tu peux faire danser une femme nue sur une table, tu peux te rendre invisible. Moi, ma spécialité, c’étaient les philtres d’amour, ça marchait hyper bien. Tellement bien que j’ai arrêté, parce que je trouvais ça trop flippant d’avoir un tel pouvoir. Un des piliers de la sorcellerie, c’est de croire que ça va fonctionner, et imaginer ce qui va se passer. Pour moi, ça, ça a aussi à voir avec le cinéma.

Tu dirais que c’est la sorcellerie qui t’a amené au cinéma ?

Oui, l’un comme l’autre, c’est se raconter des histoires, mais qui fonctionnent. Si tu fais du cinéma avec conviction et sincérité, ça marche.

Aujourd’hui, il y a toute une réappropriation féministe et queer de la sorcellerie. Ça te parle ?

Évidemment. J’ai moi-même une sexualité très fluide, et je n’aurais pas fait ce film sans la conscience de ces enjeux. En même temps, ce qui m’intéressait, c’est de ne pas ancrer le film dans une esthétique queer, mais plutôt dans quelque chose de très banalisé, dans la campagne profonde polonaise. Ce sont des paysages que je connais bien. J’y filme ces ouvriers qui sont des figures flippantes de la masculinité, que je montre aussi comme des figures de désir possibles pour l’héroïne.  Je les trouve à la fois effrayants, sexy, et touchants.

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Pour le film, tu as assisté à de vraies séances d’exorcisme ?

Pour beaucoup de séances, je me suis retrouvée à la porte. J’entendais des cris, c’était terrifiant –la puissance de l’imaginaire. J’ai vu aussi beaucoup de vidéos d’archives de l’église. On m’a raconté des cas de lévitation, de crachats, d’objets contondants. Quand on faisait les repérages, un prêtre nous faisait visiter son église. Avec le repéreur polonais, on lui raconte que ça parlera d’une jeune fille visitée par le diable, que ça va hyper loin, qu’on ne saura jamais si elle est libérée ou non, et, là, le prêtre nous dit : « Oui, oui, c’est quotidien ici. » Il me prend par la main, il me sort de l’église, et il me dit : « Tu vois la colline là-bas ? La semaine dernière, il y avait un enfant qui se tapait la tête jusqu’au sang, en disant des mots de langues qu’il n’avait jamais apprises. Il était possédé. » Un autre prêtre m’a raconté qu’après avoir donné les derniers sacrements à une femme qui venait de mourir, il est rentré chez lui, fatigué, pour se coucher. La nuit, il s’est fait réveiller par un mec au pied de son lit, les yeux exorbités, rouge sang, qui lui hurlait : « Tu m’as volé mon âme ! » C’était le démon qui possédait cette femme sans qu’elle le sache, de son vivant. Il venait lui réclamer son dû.

Comment tu as pensé la place de la caméra pour filmer les exorcismes ?

Quand on a décidé de passer à la fiction, ça a été une grande question. On se demandait : « Si c’était un documentaire, d’où on filmerait ? » Très vite est venue l’idée du plan-séquence. Ce n’était jamais dans une recherche de sensationnalisme, c’était plutôt pour que l’actrice Maria Wrobel puisse s’exprimer, vivre dans le plan. Si elle en sortait, on n’allait pas faire de recadrage, ou alors très léger.

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L’exorcisme en tant que rituel est déjà très mis en scène, non ?

Le prêtre qui fait son prêche, il se prépare dans la sacristie et c’est comme s’il montait sur un ring, comme s’il allait faire son show. L’exorcisme, c’est la force de la mise en scène par excellence, autant dans la réalité que dans la fiction. Il y a une vraie starification des prêtres exorcistes en Pologne. Ils font des vidéos sur Youtube qui touchent des millions de personnes, comme des influenceurs. Je t’ai rapporté la première revue mondiale sur la chasse aux démons, c’est pour dire la puissance de ces gars-là. C’est un mensuel avec des abonnés très nombreux. Dans le film, l’héroïne est abonnée. En feuilletant ces pages, tu te rends compte que tout est bon à exorciser là-bas. Évidemment, le Covid, c’est Satan. Harry Potter ou le death metal, c’est Satan aussi.

Quand tu as présenté ta démarche aux prêtres, ils étaient plutôt flattés ?

Au tout départ, oui. C’était évidemment ultra flippant pour moi, vu ma vie qui n’est pas la plus clean de la terre. J’avais l’impression que les prêtres allaient repérer en moi un démon, que j’allais finir exorcisée !

Tu t’es dévoilée à eux ?

Au début, je leur disais que j’allais à la messe mais pas souvent – des trucs un peu flous, pour les apprivoiser. Puis je me suis rendue compte que ma vie, ça leur importait assez peu. Le premier rendez-vous, c’était avec le grand prélat de Varsovie, nommé par le Vatican, dans son bureau. C’était très effrayant. Je me souviens que j’avais toujours des prétextes pour éviter de passer le coup de fil pour programmer l’entretien.

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Dans ton film, il y a ces plans fascinants, des zooms qui s’enfoncent dans la forêt. C’est là qu’on verse vraiment dans le film d’épouvante.

Je voulais faire comme un documentaire d’horreur. Mais finalement, le genre, je m’en fous. Il fallait surtout que le film soit organique, intime, viscéral. Il y a la boue, la crasse, c’est tourné en 16mm dans la campagne profonde. Les plans dont tu parles permettent aussi de rentrer dans la tête de l’héroïne. Ces zooms, ce sont les méandres de son inconscient. On tente de les explorer sans savoir ce qu’elle va devenir. À la fin, on ne sait pas si elle va continuer ses exorcismes pendant des années, si elle va finir par se suicider, ou si avec la jeune fille qu’elle rencontre dans le bus il y aura une histoire d’amour. C’était important que chacun projette ce qu’il veut. C’est comme un instantané de la vie d’une jeune fille polonaise aujourd’hui. Il y a un film référence, c’est Christine (1987) d’Alan Clarke. C’est sur une jeune ado qui vit dans la banlieue de Londres. Elle a un gros serre-tête, une jupe plissée, des chemisiers un peu kitschs, elle a l’air hyper innocente. Mais c’est aussi une dealeuse d’héro qui se pique dès qu’elle va voir ses potes. Comme dans mon film, quelque chose de complètement dingue est dépeint dans une forme de quotidienneté extrême.

De quelle manière le film a-t-il bousculé tes préconçus ?

Par rapport à l’église. J’y suis allé en me disant que j’allais filmer des profiteurs, des charlatans. Maintenant, mon point de vue est beaucoup plus trouble là-dessus. J’ai rencontré des gens bons. J’ai filmé des gens qui pensaient aider les gens, en leur faisant du mal – car les séances d’exorcisme, c’est quand même de la torture. Les prêtres exorcistes les réalisent avec amour, bonté, humilité, avec une réelle conviction que Dieu va pouvoir sauver ces personnes. Je voulais saisir cette contradiction. Ça dépasse l’entendement de dire tout ça. Mais j’ai justement eu envie de réaliser un film qui dépassait l’entendement.

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